[FOCUS] Parler d’une seule voix à la COP28 : un impératif pour l’Afrique (Par Dr Janvier N. Owono)

Tract – Entre juillet et septembre 2023, des précipitations exceptionnelles ont déclenché des inondations dévastatrices dans les arrondissements de Yagoua, Vélé et Kaï-Kaï (département du Mayo-Danay) ainsi que Blangoua, Zina et Logone Birni (département du Logone et Chari), entraînant la destruction de cultures. Les évaluations du Ministère de l’Agriculture et du Développement Rural révèlent que 337 hectares de champs de riz ont été anéantis dans 12 villages de l’arrondissement de Maga, tandis que 1 340 hectares de cultures variées (riz, sorgho, maïs et gombo) ont été gravement touchés dans l’arrondissement de Zina (département du Logone et Chari).

 

L’ampleur tragique de cette catastrophe, bien relayée par les médias, a suscité une vive émotion chez une grande partie de l’opinion publique, incitant de nombreux citoyens à demander des actions immédiates aux autorités camerounaises. Cette réaction était d’autant plus urgente que les prévisions climatiques de l’Observatoire National sur les Changements Climatiques laissaient présager une pluviométrie plus importante au cours des semaines suivantes.

Dans le sillage de cette catastrophe qui a frappé le nord du pays, il devient évident que nous sommes face à bien plus que des incidents isolés. Ce drame met en évidence la crise climatique mondiale, issue des changements climatiques, qui sévit de manière particulièrement sévère sur le continent africain. À l’heure actuelle, des millions d’Africains subissent les conséquences dévastatrices de cette crise climatique. Au cours des dernières années, les impacts climatiques persistants ont entraîné d’importantes pertes dans la production agricole, l’une des principales sources de revenus des populations africaines. Ces impacts, conjugués aux crises sécuritaires (Boko Haram au bassin du Lac Tchad, le terrorisme djihadiste dans le Sahel, etc.), et d’autres défis socio-économiques, alimentent les crises alimentaires et sanitaires, entraînant des pertes économiques et accentuant les inégalités.

Face à ce constat alarmant, les États africains ont pris l’engagement d’agir de manière individuelle et résolue pour atténuer les impacts néfastes des changements climatiques, tout en travaillant à construire une réponse collective africaine au sein des négociations internationales sur le climat. L’ouverture ce jour de la 28e Conférence des Parties (COP28) à la Convention-Cadre des Nations Unies sur les changements climatiques (CCNUCC) à Dubaï, aux Émirats arabes unis, offre une opportunité idéale pour examiner cette position commune africaine au sein des pourparlers climatiques mondiaux. Quels sont les enjeux des négociations à cette COP28 pour l’Afrique ? C’est la question centrale qui suscite cette contribution.

La position africaine unifiée à la COP28

À partir de ce jeudi 30 novembre et ce jusqu’au 12 décembre 2023, les délégués des pays signataires de la CCNUCC et les observateurs convergeront vers Expo City Dubai, une mini-ville futuriste, pour participer à la COP28. Il est bon de rappeler que ces assemblées annuelles ont été instaurées dans le dessein d’initier une action collective à l’échelle mondiale en matière de problématiques climatiques. Année après année, des décisions de grande portée sont attendues, visant à renforcer la stratégie globale de lutte contre le réchauffement climatique, tel qu’illustré par l’adoption de l’Accord de Paris en 2015.

En prélude à cette COP28, le Groupe africain des négociateurs sur le changement climatique (AGN) a tenu une session stratégique à Addis-Abeba, en Éthiopie, en août 2023. Cette réunion, en marge de la 19ème session ordinaire de la Conférence ministérielle africaine sur l’environnement (CMAE), avait pour objectif de façonner une position africaine unifiée pour les négociations à venir. Au cœur des délibérations se trouvaient les priorités clés de l’Afrique, inscrites dans la position commune adoptée. Parmi elles, des questions majeures telles que le financement climatique, le Fonds pour les pertes et dommages et le Bilan mondial.

Le financement climatique : un impératif vital

Le financement climatique se présente comme le levier financier essentiel destiné à soutenir les pays en développement dans leur lutte contre le changement climatique. Ces fonds, issus des pays développés et d’autres membres éminents du G20, reconnus pour leurs émissions substantielles ou leurs revenus abondants liés aux énergies fossiles, ont pour vocation d’apporter un soutien financier crucial aux pays en développement.

Il est impératif de comprendre que le financement climatique n’est pas une simple option, mais une obligation en vertu de l’Accord de Paris. Cette obligation revêt d’autant plus d’importance que ces fonds sont vitaux pour aider les pays africains à faire face aux impacts du changement climatique en raison de leurs grandes vulnérabilités à ses conséquences néfastes, malgré leur contribution marginale de moins de 4 % aux émissions mondiales. Cependant, le portefeuille actuel de l’Afrique en matière de financement climatique est loin de répondre à ses besoins pressants. Pire encore, les projections à venir sont alarmantes. Selon les estimations du Programme des Nations Unies pour l’environnement (PNUE), d’ici 2030, l’Afrique devra mobiliser près de 3 000 milliards de dollars pour affronter les défis climatiques qui se profilent à l’horizon.

Malheureusement, malgré cette obligation, les pays développés tardent à honorer leur engagement initial. L’objectif, énoncé à la COP15 puis réaffirmé à la COP21, de fournir annuellement 100 milliards de dollars de financement climatique de 2020 à 2025 aux pays en développement, est toujours loin d’être atteint, et ce montant reste bien en deçà des besoins réels.

À la COP27 en 2022, les pays développés ont rejeté la demande des pays en développement de combler le déficit existant, refusant ainsi de fournir le montant cumulatif de 600 milliards de dollars sur la période 2020-2025. De plus, les mesures d’adaptation au changement climatique demeurent largement sous-financées, avec la majorité du financement climatique accordé sous forme de prêts, aggravant ainsi la dette déjà insoutenable de nombreux pays africains et les contraignant à mettre en œuvre des politiques d’austérité qui compromettent les droits de l’homme.

Face à cette impasse, le défi majeur qui se profile pour les négociateurs africains lors de cette COP28 réside dans leur capacité à mobiliser les pays développés et les acteurs financièrement puissants à concrétiser leurs engagements. Cela nécessitera non seulement un plan détaillé pour surpasser les objectifs établis lors de la COP26, en doublant les fonds alloués à l’adaptation d’ici 2025 par rapport à ceux de 2019, mais également une feuille de route claire visant à concrétiser les promesses de 100 milliards de dollars et à atteindre un montant cumulatif de 600 milliards de dollars sur la période 2020-2025. Un autre engagement essentiel attendu est celui d’assurer un financement climatique aux pays en développement sous forme de subventions plutôt que de prêts, afin d’éviter d’aggraver leur endettement déjà préoccupant.

Le Fonds pour les pertes et dommages : opérationnalisation essentielle

Les pertes et dommages induits par le changement climatique sont les effets négatifs du changement climatique qui se produisent en dépit, ou en l’absence, de mesures d’atténuation et d’adaptation. Ils peuvent être causés par des événements extrêmes, comme les inondations, les sécheresses, les tempêtes et les vagues de chaleur, ou par des phénomènes lents, comme l’élévation du niveau de la mer et la désertification.

À la COP27 en 2022, un Fonds pour les pertes et dommages a été créé, ainsi que d’autres mécanismes de financement, pour aider les pays en développement, particulièrement vulnérables, à faire face aux conséquences du changement climatique. Cette décision, répondant à une demande de longue date des pays les plus touchés, constitue un développement significatif. Le « Comité de Transition » (CT), composé de membres de pays développés et en développement, a été établi pour formuler des recommandations sur la mise en œuvre du fonds et d’autres dispositifs de financement, devant être adoptées à la COP28. Le CT a tenu trois des quatre réunions prévues avant la COP28.

Cependant, des divergences entre pays en développement et développés sont apparues lors des réunions du CT, en particulier sur la nature opérationnelle du fonds, ses orientations et son éligibilité. Ces différences de vue constituent un défi majeur pour les négociateurs africains à la COP28. Ils doivent garantir que le Fonds devienne rapidement opérationnel et que les pays développés contribuent de manière adéquate, reflétant leur responsabilité historique en matière d’émissions. De plus, l’objectif du Fonds devrait être de fournir une réparation efficace sous la forme de subventions, et non de prêts, à ceux les plus touchés par la crise climatique, sans exercer une pression supplémentaire sur les budgets publics des pays africains.

Le Bilan Mondial : évaluation cruciale à la COP28

Le Bilan Mondial (GST) est un mécanisme établi en vertu de l’article 14 de l’Accord de Paris qui a pour mandat d’évaluer la mise en œuvre globale de l’Accord de Paris. Sa mission principale est de rendre compte des progrès notés en vue de contenir la hausse de la température moyenne mondiale sous la barre des + 1,5 °C d’ici 2050 – le principal l’objectif de l’Accord de Paris.

Le GST se terminera lors de la COP28 par l’adoption d’un Rapport et d’un document final négocié. Le dernier cycle du dialogue technique, organisé à la Conférence sur le climat de Bonn en juin 2023, a nourri ce rapport de synthèse. Il contient des réflexions, entres autres, sur la refonte de l’architecture financière mondiale et le soutien indispensable à l’adaptation et aux pertes et préjudices. Ces réflexions seront la pierre angulaire des décisions politiques qui émaneront du GST et qui seront approuvées à la COP28.

Pour les négociateurs africains, il est impératif de modeler l’approche africaine au sein du GST, en s’assurant que les documents finaux tracent un plan d’action clair. Cela inclut une augmentation tangible et rapide du financement de l’adaptation, visant à atteindre au moins le double des engagements de 2019, conformément aux accords de la COP26. Idéalement, cette augmentation devrait dépasser ces chiffres, reflétant les besoins réels, notamment les initiatives d’adaptation à l’échelle locale.

 

Dr Janvier NGWANZA OWONO