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INTERVIEW – AlyFashion Ndoye, styliste : le Buur Lébou des Ciseaux à Mbour

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Lui n’a pas voulu aller en mer, en pirogue pour chercher le poisson. Il n’a pas préféré faire comme ses frères et les autres personnes de la contrée de Mbour : vivre des produits de cet océan. Lui, Alioune Ndoye, a perçu un autre rapport avec la mer, un saisissement de son bruissement incessant et ses vagues imprenables. Dans la plénitude de cette étendue d’eau, le ressac tonne comme une romance. Pour le jeune styliste Lébou qui hume la brise sur la rive, la vision, celle de la texture de tissu vagabondant au-dessus de cet espace marin, est hallucinante. De ce grand bleu, sur cette station balnéaire, il a ajusté une étonnante inspiration pour tailler ses modèles en « Petite-Côte » qui ont récemment fait fureur à Mbour. Ça, c’est une des marques signée ALY.  

Lui qui travaille dans le domaine de la santé, peut, tout en étant à la tâche, être inspiré par un patient dans sa manière négligente de porter ses habits ou de se couvrir de son drap. Aly peut encore vous dire qu’il adore taquiner du Givenchy pour en faire des modèles-homme, caresser également le tissu local pour en exhaler ses lueurs atypiques.

Pour ce jeune Mbourois, il est important de rappeler que le Sénégal est un beau pays où l’on doit vivre en mode anti-stress. Parce que lui, Aly Ndoye, aime regarder le bon côté des choses. Alors, il peut, en friand du riz au poisson blanc, «ceebu jënn bu wéex bu and ak bëgëj», il peut tout le temps déguster ce plat « national » qu’il sait préparer comme pas un. Et, c’est en regardant la mer, du côté de la Place du Souvenir où il a avait un casting avec des mannequins, que le jeune Lébou a accordé cet entretien à Tract.

Par Cheikh Tidiane COLY

AlyFashion entouré de ses mannequins

Alioune Ndoye, tu es originaire de quelle région ?

Je suis né à Mbour où j’ai grandi et fait mes études jusqu’en classe de Cm2. Là, j’ai arrêté de suivre le chemin de l’école française.

Et pourquoi donc avez-vous arrêté ?

Je vous dis déjà que ce n’est pas parce que j’étais nul que je ne suis pas retourné en classe. Non, c’est tout simplement parce que l’envie n’y était plus. J’avais la tête ailleurs.

Où alors ?

J’avais besoin de faire autre chose. C’est la couture. Je voulais être tailleur.

A cet âge ? Et pourquoi une préférence pour la couture ?

A l’époque, j’étais souvent scotché devant le téléviseur pour regardé des émissions de mode avec les belles coutures, mais également j’avais les yeux rivés sur des magazines people et de mode comme Amina. Ce sont des journaux qui m’ont beaucoup séduit et marqué. J’y voyais de grands stylistes à l’image de Alphady… Alors, j’ai senti que c’est cela que je veux faire dans ma vie : le stylisme.

Mais, tes parents, n’ont-ils pas réagi à ce revirement d’un enfant d’une dizaine d’année ?

Si, et cela n’a pas été facile. Mais, quand les choses se sont tassées, c’est mon père qui est venu vers moi pour me demander réellement ce que je voulais. Ma réponse était claire. Et c’est comme ça qu’il m’a conduit lui-même dans un atelier de couture. C’était un blanc-seing de la part de mon père. Mon énergie de faire ce que je voulais est venue de là.

98% des créations d’AlyFashion sont masculines

Et comme ça, tout petit te voilà dans ce métier. Racontes-nous ?

J’étais d’abord un apprenti comme tout le monde quand je commençais pour la première fois ce métier. Vous me permettrez de saluer au passage celui qui m’a initié à ce travail : il s’agit de  Vieux Dièye au Marché Mbour. Le b.a.-ba du la couture, c’était lui avec tout ce que cela compte comme corvées : aller chercher du charbon, acheter ceci ou cela, emporter ou rapporter des choses… Mais le stylisme en tant que tel, je l’ai découvert en 1999, avec celui dont je parlais tout à l’heure : Alphady. Il était venu au Sénégal et j’ai sauté sur l’occasion pour voir la personne que je suivais depuis tout jeune. Je ne pouvais pas aller au l’hôtel Méridien où il faisait une prestation, parce que le billet pour suivre l’événement était trop cher. Mais, le lendemain, il a organisé une journée portes ouvertes pour permettre aux autres qui n’ont pas été voir ses œuvres la veille d’apprécier son travail. J’étais là, j’ai fait le tour de ses modèles et je suis allé vers lui. Je n’ai pas manqué de lui expliquer mon obstination pour ce métier. Alors, lui, de me conseiller pour me dire : « Si c’est le métier que tu veux, vas-y, fais-le ». Depuis, je ne l’ai plus revu, mais j’ai suivi son conseil.

Mais avant Alphady, quel était ton niveau, ta maitrise du métier ?

Avant, j’était comme je l’ai dit, un simple apprenant avec un patron qui coupait lui-même les tissus qu’il me remettait pour que je les couds. Mais je dois dire que c’est véritablement en 2012, année à laquelle je me suis inscrit à une école de stylisme, Ismod, en cours week-end, que cela a commencé. Et depuis, j’ai fait des efforts jusqu’à participer à des défilés de mode. Aujourd’hui, à Mbour, Saly particulièrement, les gens, surtout avec un public constitué de blancs, viennent voir et apprécier ce que je fais.

Ton premier modèle en tant que styliste ?

Je l’ai toujours avec moi. C’est en 2012 que je l’ai confectionné. C’est   une petite robe noire avec des épingles un peu partout. Ce modèle fait partie de ceux qui me font le plus plaisir. Je l’avais présenté en tant qu’une « révélation » à Ismod.

Après la petite robe noire aux épingles, quel a été le parcours du jeune styliste ?

J’ai fait Saly. Parce que je me dis toujours qu’il faut commencer par chez soi. Pendant quatre ans, tous les mardis, j’ai fait des défilés de mode appréciés de tous, dans un restaurant qui s’appelle le Petit Zinc. Je n’ai jamais raté un jour. Même quand je voyage pour les besoins du travail, j’ai un assistant qui  m’y représentait avec mes modèles. Les événements organisés dans ce restaurant m’ont permis d’être connu de beaucoup de gens et j’en profitais également pour inviter mes autres collègues designers.

Pour toi, quels sont les bons et les mauvais angles du stylisme ?

Dans un travail, je crois savoir qu’avant de savourer les bonnes choses, il faut d’abord rencontrer les difficultés, il faut suer pour ainsi dire. Pour moi, le métier de stylisme est noble et donc pour ne pas faire comme les autres, il faut se triturer les méninges. Parce que cela demande de la recherche et des connaissances. Le « copier-coller » est à foison, mais la différence est toujours présente pour prouver qu’il y a des personnes qui se soucient de l’innovation. L’école de stylisme nous a permis de maitriser le dessin, de créer des modèles, d’inventer. C’est là, toute la différence entre le travail d’un simple couturier et celui d’un styliste. Il arrive qu’on crée un modèle qui fait sensation à une personnalité, un acteur de cinéma ou aux mannequins eux-mêmes achètent. Ma dernière collection, je l’avoue, a fait parler d’elle. En cinq jours, j’ai tout vendu.

Et comment elle s’appelle, cette dernière collection ?

Son nom est « Petite Côte ». Je l’ai choisie à cause des couleurs dont l’inspiration m’est venue de la mer. Parce que, quand le moral est au bas, je vais à la mer…

Alors, c’est une affaire de Lébou…

Oui, nous les Lébous notre tradition c’est la mer. Et là je vois et saisi toute la plénitude de l’océan dont les vagues, tantôt d’une teinture blanche, tantôt d’une impression blanche,  me sont d’une inspiration profonde. Et voilà pourquoi dans cette collection, c’est le bleu qui domine avec cette résultante de « vagues » sur les coutures. C’était une collection entièrement masculine.

Tu as parlé de « Petite-Côte » en observant la mer. Peut-on savoir comment te viens l’inspiration de façon globale ?

Le plus naturellement de partout et de toute chose. Quand elle est là, je prends un crayon et un cahier et c’est parti. C’est pourquoi dans mon sac, j’ai toujours un agenda dans lequel je note tout ce qui me vient à l’esprit. Vous savez, l’inspiration peut venir même de l’arbre avec ses feuilles, d’une personne qui passe, d’un objet que vous observez… Je ne sais pas si je peux le dire. Par exemple, je travaille dans le domaine de la santé. Même le malade et ses accompagnants peuvent me donner une idée que je m’empresse après de dessiner.

Quand on parle stylisme, on pense également mannequins. Quels sont tes rapports avec ces derniers ?

C’est peut-être une chance pour moi ici au Sénégal.  Les mannequins m’appellent Tonton Aly, malgré mon jeune âge. C’est un signe de respect, je trouve. Et je le leur rends bien. Car voyez-vous, même les mannequins comme Mantoulaye Ndoye m’ont honoré, à l’époque, de leur présence à mes défilés et ce n’était pas facile de les déplacer. Tout comme Touti Ndiaye aujourd’hui… J’ai même osé faire venir quelques fois Fleur Mbaye à Saly.

Alors, on peut dire qu’Aly est riche ?

Maa ngui sant Yalla ! Mon argent me vient d’abord de mon travail à l’hôpital que je réinvestis dans la mode. C’est surtout en 2018 que la mode m’a beaucoup apporté à l’occasion du Young Fashion Night où ma collection a été très appréciée. J’ai vendu mes modèles.

Si on te demandait de donner une définition personnelle du stylisme que dirais-tu ?

Pour moi, le stylisme est la création,  l’ouvrage  d’une personne pour habiller confortablement une autre créature. Mais, il faut y aller avec une touche d’invention, un esprit d’innovation. Parce que créer n’est pas facile. Il faut de l’imagination, crayon à la main. C’est pourquoi dès lors que tu dessines un modèle et qu’en regardant la télé, quelques minutes après, on voit que quelqu’un d’autre a presque fait la même chose que vous, alors vous vous dites que vous n’êtes pas seul sur le terrain. Il y a quelque part, quelqu’un pense aussi comme vous. Ainsi, il faut encore faire des efforts pour tirer votre épingle du jeu. Nous les jeunes stylistes avons encore du chemin à faire, mais nous n’avons rien à envier à nos ainés. Surtout quand on voit que certains de nos créations sont reprises par des célébrités, à défaut de le dénoncer, on est fiers de nos œuvres.

Quelles sont tes couleurs préférées ?

J’adore le bleu et le blanc. Toutefois, pour ma prochaine collection, je change. Ce sera du marron-beige. Les politiciens de l’Apr vont peut-être dire que je suis des leurs, mais c’est une collection où je vais rendre hommage à mon défunt père El Mansour Ndoye par qui ma percée dans le stylisme est devenue une réalité aujourd’hui. Il n’a pas assisté à mes premiers pas de réussite, cependant ses prières me suivent toujours. La collection s’appelle Wangan comme son surnom.

Quelle est la clé de répartition de tes modèles entre hommes et femmes ?

Je dirais que 98% de mes créations sont masculines. Les femmes, je ne leur réserve que 2%.

Pourquoi ce petit pourcentage est-il destiné aux femmes ?

C’est justement, comme je l’ai dit tantôt pour rendre hommage aux Matoulaye Ndoye, Touty… pour ne pas dire aux femmes de façon générale. Mais, il faut avouer que ma spécialité est la coupe Homme. Si vous observez la mode au Sénégal, beaucoup font dans Femme et, on oublie les hommes qui, pourtant, adorent la couture. Il suffit de voir le vendredi pour s’en convaincre. Pour en rire, je dirais que les hommes achètent cash quand les femmes, elles, font dans l’emprunt. Jiggéén yi danio mënë léb torop !

Quels sont tes rapports avec ta famille ?

Ma famille m’aime beaucoup, ça il faut que je l’avoue. Je le dis parce que j’ai les échos des témoignages des membres de ma famille au niveau de l’hôpital où je travaille. Mes patrons me rapportent souvent ce que mes parents disent tout le temps du bien de moi. Du côté paternel comme maternel. Dans la famille de ma mère, c’est toujours un daara, les gens y apprennent toujours. Mon grand –père, tout le monde le sait ici à Mbour, était Iman ratib pendant 40 ans. Aujourd’hui, c’est mon oncle qui a pris la relève. Donc pour dire que la famille est fondamentale pour moi, et encore quand on est Lébou. C’est pour cela, je fais très attention.

Comment perçois-tu l’évolution de la mode sénégalaise ?

Le stylisme a vraiment pris de l’envol. Je m’en veux pour preuve la création des écoles comme le Complexe Sadya, Oumou Sy, l’Institut des sciences de la mode (Ismod) etc. Aujourd’hui on sent que les jeunes fréquentent les instituts. Je connais un jeune qui commence à se faire un nom Mouhamed Diouf. Ce jeune a pourtant un niveau de Bac+4, mais il est allé aussi se parfaire dans une école de stylisme. C’est pour vous dire qu’il ne faut pas prendre les choses à la légère. Il faut bien de la formation. Le don, c’est bien, mais la formation c’est encore mieux.

Tu évolues également dans le domaine de la santé, expliques-nous ton travail.

Je suis dans le secteur social. Je suis plus particulièrement un assistant psycho social. J’aide les malades à surmonter leur mal, à s’accepter. Parfois, il est très difficile pour un diabétique, une personne souffrant d’un Vih sida etc. d’avoir un moral au top. Alors, je leur parle. J’ai ce don de leur faire oublier la maladie qui les ronge. Il y a des patients qui me disent qu’à chaque fois qu’ils prennent leur médicament, le fait de penser à nos dialogues les soulage. Et cela me va droit au cours, parce que je me dis qu’au moins, j’aurais aussi réussi quelque chose dans ce métier à l’hôpital. J’en rends grâce à Dieu.

Cette capacité de parler aux patients en détresse, est-ce un don ?

Je peux dire que c’est quelque chose de naturel réveillé à la suite d’une formation à travers une Ong l’Alliance nationale contre le sida au temps du ministre de la Santé Awa Guèye Kébé. Je ne cesserais de les remercier pour ce qu’ils ont fait.

Comment peut-on allier stylisme et travail d’hôpital ?

Nombre de gens pensent que c’est une affaire de fou. Parce que c’est deux choses qui ne vont pas de pair, jusqu’à ce qu’un jour l’association des diabétiques par le soutien d’un organisme sis aux Etats-Unis organise une fête. Cela été la surprise quand on a annoncé que c’était moi qui présentais les modèles du défilé comme invité-surprise. L’étonnement était tellement grand que le directeur de l’hôpital dans sa prise de parole s’est interrogé sur la période à laquelle je me consacre à mes modèles puisque travaillant tous le jours à l’hôpital. Quand je lui ai parlé d’heures creuses à l’hospice, il a alors saisi l’importance du cahier que j’avais souvent avec moi.

Quelles sont tes ambitions, Aly ?

C’est avoir un grand showroom implanté à Mbour. Toutes mes économies, aujourd’hui, c’est pour réaliser ce vœu.

Aly est-il marié ?

Non, pas encore. Mais, je pense que cela ne va pas tarder. Par contre, j’ai déjà adopté deux enfants de mêmes père et mère, offerts par ma belle-sœur en 2004. L’un est né en 1999 et l’autre en 2001. Alors, mes neveux, sont aujourd’hui mes enfants et sont à mon entière charge.

Ton dernier mot ?

Je remercie Tract. Je vais vous raconter une histoire qui concerne ce journal et moi. Je devais faire une interview avec votre canard quand il était en version papier en 2000 en tant que mannequin, après le passage de Ndiémé Samb à la Une. Mais, malheureusement on m’annonça le décès de mon grand frère et je suis reparti pour Mbour. Voyez-vous, c’est presque 20 ans après que je reviens, cette fois-ci en tant que styliste passant en mode Tract en ligne. Voilà pourquoi dans la vie, il faut toujours de la patience.  Lu jot yomb !

Interview réalisée par Cheikh Tidiane Coly

 

Voici la collection présentée à la Young Fashion Night par AlyFashion :

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