Dans un paysage bancaire en pleine ébullition, la fulgurante expansion de groupes issus du continent vient bousculer des acteurs implantés de longue date. Comment s’y prennent-ils ?
Par Florian Léon* et Alexandra Zins** pour The conversation.com
Un changement peu visible mais profond est en cours dans de nombreux pays en développement : la régionalisation des systèmes bancaires. Les banques étrangères ont toujours été des acteurs importants dans de nombreux pays d’Asie, d’Europe centrale, d’Amérique latine et d’Afrique. Cependant ces banques étaient originaires d’Europe occidentale et des États-Unis. Une tendance actuelle est au retrait relatif des banques occidentales au profit des banques des pays émergents, et notamment des banques régionales (banques étrangères issues de pays du même continent).
L’expansion de ces groupes bancaires régionaux s’est accélérée après les difficultés qu’ont connues les banques européennes et américaines lors de la crise de 2008, laissant le champ libre à ces nouveaux acteurs. Mais les conséquences de la régionalisation sur les marchés d’accueil sont encore mal connues. Dans une série de travaux, nous avons étudié ces effets à partir du cas africain.
Connaissance du terrain
La situation africaine est particulièrement intéressante à plusieurs niveaux. Premièrement, le continent a été marqué par une rapide expansion des banques régionales qui sont devenues des acteurs majeurs en quelques années seulement.
Les plus grands groupes, tels que Standard Bank Group, Attijariwafa Bank, Ecobank ou United Bank for Africa, sont implantés dans une vingtaine de pays de la région et les banques régionales gèrent plus d’actifs que les banques locales ou que les autres banques étrangères. Ces banques sont issues de plusieurs pôles régionaux, qu’il s’agisse de l’Afrique du Sud (Standard Bank Group), du Kenya (Kenya Commercial Bank Group), du Nigeria (United Bank for Africa, Guaranty Trust Bank, Diamond Bank), d’Afrique de l’Ouest francophone (Ecobank, Bank of Africa) ou du Maroc (Attijariwafa, BMCE). Après une expansion vers les pays voisins, ces grandes banques sont sorties de leur zone d’influence pour ouvrir des succursales sur l’ensemble de l’Afrique. Ainsi, Ecobank, originaire du Togo, est aujourd’hui présente partout en Afrique.
Deuxièmement, la question de l’efficacité du système financier est cruciale pour ces pays. En raison de la dynamique démographique en cours, les pays africains sont dans l’obligation de stimuler le secteur privé afin de créer suffisamment d’emplois. Or, la difficulté de l’accès au financement est l’un des obstacles principaux au développement des entreprises. Les systèmes bancaires africains remplissent aujourd’hui mal cette fonction et l’accès au crédit reste complexe pour la plupart des entreprises et des ménages.
Une littérature riche a étudié les effets des banques étrangères dans les pays en développement sans pour autant aboutir à un consensus clair. Si les banques étrangères sont plus performantes que les banques locales d’un point de vue technique (meilleure technologie, accès aux fonds plus aisé, etc.), elles souffrent d’un désavantage informationnel. En effet, une banque internationale est mal équipée pour opérer dans un marché dans lequel les clients ne peuvent pas toujours produire des documents écrits (fiches de salaire, bilans comptables certifiés). La connaissance du terrain est cruciale pour pouvoir évaluer correctement les projets soumis. Les banques locales ont l’avantage de cette connaissance, notamment dans les pays les plus pauvres.
Les banques régionales combinent ces deux avantages, technique et informationnel. Leur envergure internationale leur permet d’innover dans des technologies de pointe et d’accéder à des fonds à moindre coût que les banques locales. D’autre part, leur proximité (géographique et/ou culturelle) leur permet d’acquérir une meilleure connaissance du terrain que leurs concurrents occidentaux. À partir du cas des banques régionales africaines, aussi dénommées banques panafricaines, nous étudions les conséquences de l’entrée des banques étrangères régionales sur les marchés d’accueil. L’un des objectifs majeurs des travaux de recherches sur les banques étrangères a souvent été de déterminer si ces dernières étaient capables d’offrir des services financiers à moindre coût que les banques.
Bénéfices pour les plus aisés
Les travaux distinguant les banques étrangères régionales des autres banques étrangères (ici ou ici) n’aboutissent pas à des résultats consensuels. Les résultats sont conditionnels à la méthode retenue pour évaluer le coût de production des services financiers.
Dans un travail récent, nous avons étudié les effets de l’entrée des banques panafricaines sur l’accès aux services financiers par les ménages et les entreprises. Nos résultats montrent que les banques panafricaines ont eu un effet modéré sur l’accès aux services financiers des ménages (accès à un compte, à une épargne ou à un crédit). Plus particulièrement, seuls les ménages les plus riches et les mieux éduqués ont su tirer bénéfice de l’entrée des banques panafricaines. Cet effet positif s’explique sans doute par des services financiers fournis par les banques panafricaines qui répondent bien à leur mode de vie et notamment leur mobilité à travers le continent.
L’entrée des groupes régionaux en Afrique a eu, en revanche, un effet fort sur l’accès aux crédits des entreprises. Nous montrons dans notre étude que la part des entreprises ayant accès à un crédit s’est accrue avec le développement des banques régionales. Notre étude cherche aussi à comprendre les mécanismes par lesquels les banques panafricaines ont amélioré l’accès aux crédits. Il ressort de nos analyses que la principale raison tient aux stratégies agressives déployées par ces banques. Afin de gagner des parts de marché, elles ont été plus flexibles que les banques existantes dans l’octroi de prêts (tant au niveau des documents demandés que des décisions d’acceptation). Ce constat est en phase avec nos travaux ultérieurs montrant que la concurrence bancaire s’est fortement intensifiée suite à l’entrée des banques régionales. Il entre également en résonance avec la densification rapide des réseaux bancaires de ces banques, à la fois en nombre de pays et au sein de chacun des pays.
Les risques induits par une croissance trop rapide
Cette quête de croissance, si elle a permis d’améliorer l’accès aux crédits des entreprises, peut s’avérer dangereuse, à l’image des difficultés d’Ecobank. Ecobank a été particulièrement agressive en s’implantant dans 20 nouveaux pays en une dizaine d’années (Ecobank est aujourd’hui implantée dans 35 pays), doublant ses actifs en moins de 5 ans. Ecobank s’est trouvée dans la tourmente à partir du milieu des années 2010 et a connu une crise de gouvernance qui n’est pas sans lien avec sa forte croissance.
Or, la situation d’Ecobank n’est pas isolée. D’autres banques souvent issues d’Afrique de l’Ouest (comme United Bank of Africa ou Bank of Africa qui ont ouvert dans plus de 15 pays nouveaux en dix ans) ont également fortement accru leur couverture géographique au cours des dernières années afin de combler l’étroitesse du marché d’origine. De tels phénomènes suscitent des interrogations quant à l’impact de ces acteurs régionaux sur la stabilité financière et économique des pays d’accueil. L’élaboration d’une réglementation adéquate devient un enjeu majeur des régulateurs sur le continent.
Les travaux futurs devront étudier les conséquences en termes de stabilité financière de l’expansion des banques régionales en Afrique. Les banques panafricaines restent de taille modeste, ont un portefeuille peu diversifié, et sont peu capitalisées. Il est peu certain que la plupart d’entre elles soient capables de faire face à une hausse rapide des non-remboursements. Une telle situation pourrait induire un effet domino en raison de l’importance prise par les banques panafricaines sur certains marchés et de la faiblesse de la régulation bancaire transnationale en Afrique. Or, les effets d’une telle crise pourraient s’avérer dramatiques pour les acteurs privés en les coupant durablement de l’accès aux crédits bancaires, comme cela fut le cas lors des crises des années 1980 et 1990. Si les acteurs politiques veulent favoriser l’emploi et la croissance, ils devront considérer l’importance du secteur bancaire et de sa régulation.
* Florian Léon est post-doctorant en économie à l’Université du Luxembourg, Research Fellow à la Ferdi, AUF (Agence universitaire de la francophonie).
** Alexandra Zins vient de finir sa thèse en gestion à l’Université de Strasbourg sur les banques panafricaines.