Je suis désormais le président élu de tous les Tchadiens ». Le général Mahamat Idriss Déby Itno a été déclaré jeudi 8 mai vainqueur de la présidentielle au Tchad, trois ans après avoir pris le pouvoir à la tête d’une junte militaire. Son Premier ministre Succès Masra, battu, lui conteste cette victoire.
Mahamat Idriss Déby Itno, 40 ans, a recueilli 61,03% des voix, selon les résultats officiels provisoires de la commission électorale qu’il avait nommée, contre 18,53% à Succès Masra, 40 ans aussi. Le taux de participation s’est officiellement élevé à 75,89%. Ces décomptes doivent encore être validés par le Conseil constitutionnel, lequel avait également été nommé par le chef de la junte.
Accusation de résultats truqués
Peu après l’annonce, des militaires ont tiré en l’air à l’arme légère à N’Djamena dans le quartier où siège le parti de Succès Masra, de joie mais aussi manifestement pour dissuader les gens de se rassembler, ont rapporté des journalistes de l’AFP. Quelques habitants couraient pour se terrer chez eux et les rues ont vite été désertées. C’était l’inverse près du Palais présidentiel, de nombreux partisans de Déby célébraient sa victoire en criant et chantant et klaxonnant dans leurs voitures, recouvertes du drapeau tchadien pour certaines.
Succès Masra avait revendiqué la victoire avant la proclamation des résultats officiels dans un long discours sur Facebook où il accusait par avance le camp Déby d’avoir truqué les résultats pour annoncer la victoire du général. Invoquant la compilation des comptages des bulletins par ses propres partisans, il a appelé les Tchadiens à « ne pas se laisser voler la victoire » et à la « prouver » en « se mobilisant pacifiquement, mais fermement ».
Si les partisans de Masra protestent dans la rue, cela pourrait ouvrir la voie à des violences meurtrières, les manifestations de l’opposition étant systématiquement réprimées dans ce pays marqué, depuis son indépendance de la France en 1960, par les coups d’Etat, les régimes autoritaires et les assauts réguliers d’une multitude de rébellions. La Fédération Internationale pour les droits humains s’était inquiétée le 3 mai d’une « élection qui ne semble ni crédible, ni libre, ni démocratique », « dans un contexte délétère marqué par (…) la multiplication des violations des droits humains ».
Le jeune général Mahamat Idriss Déby Itno, le regard fuyant, paraissait bien timoré ce 20 avril 2021 quand l’armée le proclamait, à la télévision, président de transition à la mort de son père Idriss Déby, maître absolu du Tchad depuis 30 ans, tué par des rebelles en se rendant au front.
Trois ans plus tard, à 40 ans, il a fait légitimer par les urnes – dans un scrutin jugé « truqué » par l’opposition et des ONG internationales – une magistrature suprême qu’il semblait avoir fini par apprivoiser ces derniers temps, souvent en mimant, mais mal, la gestuelle de son père, chef autoritaire et politicien madré.
Le patriarche avait ravi le pouvoir par un coup d’Etat à 38 ans; le fils par un pronunciamento hors de tout cadre constitutionnel à 37 ans.
Il a été proclamé élu au scrutin de lundi après avoir fait violemment réprimer et museler toute opposition et écarter ses plus dangereux rivaux de la course à la présidence. Et, tout comme son père, en phagocytant habilement une autre partie de l’opposition.
Il a ainsi neutralisé Saleh Kebzabo, opposant historique au régime du maréchal Idriss, en le nommant Premier ministre en octobre 2022, avant de le remplacer le 1er janvier 2024 par le jeune Succès Masra, le plus farouche contempteur des Déby père et fils. MM. Kebzabo et Masra avaient dénoncé son « coup d’Etat » en avril 2021.
– « Dynastie Déby » –
Sa junte a aussi écarté politiquement ou physiquement tout rival présidentiel, et l’opposition l’accuse de vouloir perpétuer « la dynastie Déby ».
Jeudi, Mahamat Déby a définitivement achevé de placer ses pas dans ceux de son père, pour un long règne.
Son nouveau costume de président de transition semblait pourtant bien grand en 2021 pour cet homme issu d’une école d’officiers tchadienne n’ayant jamais approché la politique de près ou de loin.
En trois ans et de nombreuses réceptions en grande pompe à Paris, Moscou ou dans les capitales africaines, il a pris de l’étoffe et troqué, comme son père, l’uniforme contre le boubou traditionnel ou le costume de marque.
Mais sa légitimité et sa popularité, déjà fragiles au sein même de la famille Déby et de son ethnie zaghawa, qui régissent le pays depuis 33 ans, vacillent un peu plus depuis que les militaires ont tué, il y a deux mois, son cousin Yaya Dillo Djérou, son plus sérieux rival pour la présidentielle, dans l’assaut du siège de son parti d’opposition.
Ce que son parti dénonce comme un « assassinat », d’une « balle dans la tête à bout portant », a renforcé une tendance qui sourdait déjà sous le maréchal: Mahamat Déby cristallise une discorde, une faille qui s’est creusée au cœur du clan familial et des Zaghawas.
Pour affirmer son autorité, il a écarté plusieurs généraux fidèles à son père dans une toute-puissante armée dont le commandement est trusté par les Zaghawas et quelques alliés de l’ethnie gorane – il est zaghawa par son père et gorane par sa mère.
Mais à l’approche de l’élection, la rumeur bruissait de tentative de coup d’Etat ou de mutinerie d’une partie des militaires autrefois fidèles au maréchal ou proches de M. Dillo.
– Adoubé à l’étranger –
Mahamat Déby est un piètre orateur en meeting et rechigne manifestement aux bains de foule. Il doit parfois forcer le trait en chef de l’État assuré et autoritaire, copiant les attitudes martiales de son géniteur, au pays comme à l’étranger où il avait été rapidement adoubé par une communauté internationale – France en tête – tout aussi prompte à vilipender et sanctionner ailleurs en Afrique les militaires putschistes.
Comme son père encore, il renfile volontiers son treillis et son béret rouge des commandos d’élite de la garde présidentielle – qu’il a commandés de 2014 à 2021 – quand il se rend près du front.
Biographes et hagiographes assurent qu’il s’est illustré plusieurs fois au combat, notamment en 2009, dans l’Est, contre la rébellion. Tout comme son père là encore, ancien rebelle qui s’est emparé du pouvoir en 1990 – à 38 ans… – et n’a jamais cessé de se dépeindre en « guerrier ».
Sur le plan intérieur, Mahamat Déby n’a jamais laissé la moindre opposition, la moindre dissidence prendre corps. Il alterne la répression meurtrière (une manifestation pacifique matée dans le sang le 20 octobre 2022, l’assaut contre le parti de M. Dillo…), et la séduction, voire le braconnage, dans l’opposition politique et armée.
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