Tract – Avec lui, c’est toujours de petites anecdotes, de petits secrets. Parce que Robert Bourgi est très souvent dans le secret des dieux… africains et français notamment. Le célèbre et influent «Tonton Robert» de Karim, «ami» de Macky Sall, analyse les conditions du départ de ce dernier du Pouvoir, la défaite de son candidat, Amadou Ba, qu’il a rencontré récemment à Paris. Il revient aussi sur ses échanges avec Atépa et Macky Sall pour la libération de Diomaye et Sonko, un tandem dont l’élection relève de «l’irrationnel», et qu’il prévient par cette petite phrase : «le pouvoir change les hommes». Le Franco-sénégalais ne supporte pas la visite de Mélenchon à Dakar, une «erreur» de Sonko. Tendez l’oreille… Robert allume plusieurs… Bourgi à Questions directes, émission à suivre ce dimanche à 14h.
Comment analysez-vous la visite de Jean-Luc Mélenchon au Sénégal où il a été reçu par l’opposant Ousmane Sonko, mais aussi la polémique qu’il a laissée ici sur l’homosexualité ?
J’ai été surpris par la visite de M. Mélenchon à Dakar, l’invitation ayant été lancée par M. Ousmane Sonko. C’est une bonne chose que ce dernier ait manifesté sa reconnaissance. Seulement, il semble oublier aujourd’hui qu’il n’est plus un insoumis. Il est le chef du gouvernement de la République du Sénégal. S’il reste patron du Pastef, il est le numéro 2 du pays. Et le Sénégal est une République.
Il faut noter qu’il a précisé qu’il a reçu Jean-Luc Mélenchon en tant que chef de parti, pas en tant que Premier ministre.
Il ne peut pas, étant Premier ministre, recevoir un ami en tant que président du Pastef. J’aurais apprécié que M. Ousmane Sonko se garde d’inviter M. Mélenchon, parce que je sais qu’il est un homme intelligent et avisé, et donc il devait savoir que M. Mélenchon, on ne le muselle pas. Je pense que c’est là une erreur de M. Sonko.
Oui, mais il a expliqué que cette visite est motivée par le soutien constant de Mélenchon contre la répression du Pastef par le régime de Macky Sall, alors que Macron soutenait ce dernier.
Je suis surpris d’entendre cela de droite ou de gauche. Le Président Macron, dont je ne suis pas l’allié, n’est pas resté insensible à ce qui se passait au Sénégal dans les périodes de troubles. Je sais que régulièrement Macron appelait le Président Macky Sall pour lui demander ce qui se passe au Sénégal, ce qu’il envisageait de faire. Souvent, il lui disait que les forces de l’ordre n’étaient pas très tendres face aux troubles occasionnés par les jeunes du Pastef. Et M. Sonko peut se souvenir que le Président Macron avait dépêché auprès de lui, au mois de décembre 2023, une conseillère de son cabinet, dans l’ignorance totale du Président Macky Sall. Pratique que j’ai dénoncée moi-même dans une interview dans un quotidien sénégalais. Donc, Mélenchon est arrivé à Dakar. Tant mieux pour lui. Seulement, il s’est trompé d’auditoire. Il y a une différence énorme entre dénoncer la violence de la répression du Président Macky Sall et des forces de l’ordre du Sénégal depuis la France et venir à Dakar, prôner les très bons côtés de Lgbt. C’est pour ça que je dis qu’il s’est trompé d’auditoire. J’ai écouté les propos de Mélenchon lorsqu’il a évoqué la question des Lgbt. Et au fond de moi-même, j’ai dit : «Mélenchon, il y a des choses qui ne se disent pas, qui ne se pensent pas au Sénégal».
A votre avis, quels étaient les enjeux de cette visite ?
Il n’y a aucun enjeu. Que représente monsieur Mélenchon sur le plan international ? Rien, rien, rien. Aujourd’hui, le Sénégal, à travers M. Diomaye Faye et M. Sonko, a besoin de soutien sur le plan international. Ils ont besoin de travailler avec les institutions financières internationales comme la Banque mondiale, le Fonds monétaire. Mais aussi avec les grands États. Que peut apporter Mélenchon au gouvernement du Sénégal ? Rien. Sinon les incantations, l’esclavage, l’exploitation de l’homme par l’homme, tout ça, nous le connaissons. Nous avons appris cela. Nos populations en ont souffert les siècles passés. Aujourd’hui, il s’agit de construire, de fortifier un État, d’établir des relations.
Il y a quand même une opinion en France qui écoute Mélenchon. Et l’opinion est importante dans les décisions des États…
Attendons de voir le résultat des élections européennes. M. Mélenchon et les Insoumis termineront à la 4e place, au mieux. Il a fait un bon score à la dernière Présidentielle. Je n’ai rien contre lui. J’ai battu le pavé moi-même aux côtés de Mélenchon pendant des années pour dénoncer la dictature d’Omar Bongo. Nous avons marché ensemble et j’ai de l’admiration pour cet homme. Mais, il va quelque fois trop loin et au point d’en abuser. Il aime déranger. Il est vrai que dans le passé, les premières visites des chefs d’Etat du Sénégal étaient dirigées vers la France. Vous parliez de la visite du Président Macky Sall. Quelques jours après l’élection du Président Macky Sall en 2012, le Président Sarkozy m’avait envoyé comme ami pour le féliciter. Il m’avait reçu chez lui. Il n’avait pas prêté serment et m’avait dit : «Grand frère, est-ce que tu peux dire à Nicolas qu’il me manque plus de 150 millions d’euros pour assurer la fin du mois». Je lui ai dit : «Il n’y a pas de problème, Président». Rentré à Paris le soir, j’en ai fait part au Président Sarkozy. Lequel, dans les 48 heures, avait mis à la disposition de l’Etat Sénégalais, donc de Macky Sall, 180 millions d’euros. Cela a validé la première visite du Président Macky Sall en France.
C’est cette manière de faire que déplorent les nouvelles autorités justement…
Je suis tout à fait d’accord avec les orientations nouvelles que prennent les nouveaux dirigeants africains, surtout de l’Ouest. Et je comprends tout à fait que le Président Diomaye Faye veuille inscrire les relations avec la France dans un tout autre contexte. Mais, il ne faut pas oublier quand même qu’à l’heure où nous nous parlons, la France est le premier partenaire du Sénégal. Quel est le pays au monde qui a des relations aussi fortes que celles de la France avec le Sénégal.
Les derniers chiffres contredisent cela. Les premiers partenaires du Sénégal, c’est la Chine, la Turquie… la France est en 3ème position ?
La France est toujours le premier partenaire. Mais, il faut que les dirigeants français sachent aujourd’hui que c’est la fin du primat français. La France est un partenaire parmi tant d’autres. Pour les bases militaires par exemple, c’est dans le mouvement général du monde que s’inscrit la fermeture des bases militaires en Afrique. Mais, en même temps que leur fermeture, il faut mettre fin aux accords de défense. Et d’ailleurs, c’est l’intention qu’à le Président Emmanuel Macron puisse qu’il vient de désigner l’excellent Jean Marie Bockel pour expliquer aux chefs d’Etat africains la nouvelle tournure que doit prendre l’Etat français lorsqu’il s’agit de base militaires. J’ai dit que lorsque l’on ferme des bases militaires, je ne vois pas l’utilité de maintenir les accords de défense. C’est ça la logique.
Vous êtes proche de Macky Sall et de Amadou Ba. On a senti des fissures entre les deux. A votre avis, qu’est-ce qui s’est passé ?
Certes, je suis un ami de Macky Sall. Mais, a-t-il changé de Premier ministre ? Non. Il a désigné le candidat Amadou Ba en toute conscience. Je sais qu’au niveau du parti présidentiel beaucoup de voix s’élevaient pour dénoncer le choix qui a été fait sur Amadou Ba pour conduire les forces du parti vers la victoire. Amadou Ba a perdu mais en ayant combattu courageusement, loyalement. Il est tombé mais le reproche que j’avais fait au Président Macky Sall, c’est de ne pas avoir pesé lourdement pour appeler les frondeurs, à savoir qu’il fallait s’unir autour d’Amadou Ba. C’est la raison pour laquelle la victoire de l’opposition ne m’a pas surpris.
Il y a eu aussi la volonté du Président Macky Sall de vouloir reporter les élections, des accusations de corruption contre des membres du Conseil constitutionnel et Amadou Ba…
Je n’ai jamais entendu Macky Sall dire quoi que ce soit dans ce sens. S’il a signé la décision de reporter ces élections, c’est parce qu’il y a justement ce que vous venez d’évoquer. Cela lui a valu une pluie de critiques nationale et internationale, le dépeignant comme un dictateur. Macky Sall n’est aucunement un dictateur. Le 14 juin dernier, avant qu’il ne le déclare officiellement, il m’avait dit : «Grand frère, il n’est pas question d’un 3e mandat, même si la Constitution me l’autorise. Je veux m’en aller et laisser la place à quelqu’un d’autre.
Mais la société civile considère qu’il y a une répression sanglante, que des jeunes ont été mis en prison ou ont perdu la vie. Ils disent que c’est la dictature de Macky Sall ?
Qui d’autre que Macky Sall a permis que deux opposants soient maintenant les dirigeants du pays ? Qui d’autre que Macky Sall a autorisé la libération de Ousmane Sonko, de Bassirou Diomaye Faye et de centaines de patriotes ? Qui pouvait l’obliger à le faire ? Il l’a fait en toute conscience et Pierre Atépa le sait très bien. Puisqu’il m’a appelé le 1er janvier 2024 pour me demander le numéro de portable de Macky Sall. Je lui ai dit : «Pierre, pourquoi ?» Il me dit : «J’ai l’idée d’amener le Président Macky Sall à être plus clément avec Sonko, Diomaye et les autres membres». J’ai appelé le Président Macky Sall le 1er janvier pour lui dire : «Président, je vous appelle parce que j’ai un coup de fil de Pierre Atépa. Il voudrait avoir votre numéro de portable et vous souhaiter bonne année». Un silence de 10 à 15 secondes, il m’a dit : «Grand frère, donne lui mon numéro de portable. Dis-lui que je lui pardonne ce qu’il m’a fait, comme je lui demande de me pardonner ce que je lui ai fait».
Robert Bourgi, dites-nous ce qui s’est passé pour que le Président Macky Sall change d’avis par rapport à Ousmane Sonko et à Bassirou Diomaye Faye ?
Je vais vous livrer le fond de la pensée du Président Macky Sall. Lorsqu’il a commencé à discuter avec Pierre Atépa Goudiaby et un autre politique sénégalais, je suis arrivé à Dakar et j’ai parlé avec Macky Sall. Il m’a dit : «Tu sais, grand frère, personne ne m’obligera jamais à faire ce que ma conscience m’interdit. Mais, j’ai décidé qu’il était temps de donner la parole à tout le peuple et de permettre à tous de concourir à la présidence».
Mais est-ce qu’il n’était pas persuadé que son candidat Amadou Ba n’avait aucune chance de remporter ces élections face à la Coalition «Diomaye Président» ?
Il n’y a pas que lui qui avait cette pensée. Celui qui vous parle qui a une estime énorme pour Amadou Ba, je savais très bien que les chances de succès étaient de l’autre côté, la jeunesse qui représente 64% de la population était totalement acquise à Diomaye et à Sonko. Et les résultats du 24 mars sont là, nous avons assisté à une victoire que je qualifierai en même temps de logique et d’irrationnel. Je suis un adepte du soufisme. Il y a dans cette élection de Diomaye une action d’une force transcendantale et j’ai envie de dire : «Yallah moo ko beugg !» (C’est la volonté divine). Voici un homme talentueux, qui commence le Ramadan en prison et qui le termine au Palais présidentiel. C’est quelque chose de fou et d’irrationnel.
Beaucoup estiment que Macky Sall a toujours des velléités de revenir au Sénégal, de se présenter en 2029 en conservant son parti l’Apr.
Mais, ce n’est un secret pour personne. Il l’a décidé, il l’a déclaré : «Je reste président de mon parti». Mais, depuis qu’il est parti, je l’ai souvent eu au téléphone, jamais il ne m’a dit qu’il voulait revenir. Mais mieux, à l’international, tant aux Usa qu’en France et dans ses entretiens téléphoniques, il n’a eu un seul propos contre le tandem Diomaye Sonko. Dieu sait qu’il est franc, sincère et loyal avec moi. Jamais il ne m’a dit qu’il veut redevenir président. Il y a Amadou Ba, le candidat qui était parti plus de deux mois après l’élection présidentielle, qui est rentré tout récemment. Il est en train de rencontrer un peu les gens de Benno bokk yaakaar avec qui il était. Il y a des spéculations. Est-ce qu’il va créer son propre parti ? Est-ce qu’il va rester à l’Apr ? Les gens estiment qu’aujourd’hui, Amadou Ba, peut-être, ne sait pas sur quel pied danser. Je vais vous confier quelque chose : J’ai vu Amadou Ba à Paris, il y a une quinzaine de jours. Et il avait à ses côtés son fidèle ministre de l’Éducation nationale (Ndlr : Cheikh Oumar Hann). J’ai vu un homme meurtri par l’échec. Et je me suis isolé avec lui pour lui dire : «Il faudrait que tu te ressaisisses, Amadou». Et il m’a dit : «Je vais rentrer au pays». Il ne m’a pas dit ce qu’il allait faire. Il est évident qu’il ne peut pas rester comme ça. Que voulez-vous qu’il fasse à 63 ans ? Rester en politique ? Mais aujourd’hui, je lui conseillerais de rester dans la ligne du président. C’est le seul qui reste, je parle de Macky Sall, à pouvoir maintenir en vie ce qui reste du parti présidentiel. Mais, aujourd’hui, face à Diomaye et Ousmane Sonko, il n’y a plus personne. C’est le désert. Sans doute, c’est la raison pour laquelle Macky Sall reste président du parti. Mais il ne m’a jamais dit qu’il comptait revenir en 2029. C’est un président qui est parti, mais qui est totalement loyal vis-à-vis de ceux qui, aujourd’hui, occupent le palais.
Sur le plan international, il y a l’avocat Juan Branco qui aurait décidé de porter plainte contre le Président Sall devant la Cpi pour crimes contre l’humanité. Qu’en dites-vous ?
Juan me fait rire. Il m’amuse. L’avocat, oui il est intelligent, mais il faudrait qu’il sache que les menaces de la Cpi ne sont rien. Je lui conseillerais d’acheter le livre des réalités. Au nom de quoi on enverrait Macky Sall à la Cpi ? Il parle des crimes qui ont été commis au Sénégal pendant les cinq ans. Il y a eu des répressions, des troubles à l’ordre public… Je ne veux pas passer l’éponge sur ce qui s’est passé, mais arrive le temps du pardon. Aujourd’hui, le vieux que je suis, qui aime ce pays, qui a accueilli mes pauvres parents, au début du siècle dernier, je conseillerais au Président Diomaye et au Premier ministre Sonko de recoudre le tissu social, de panser les plaies et de faire l’unité nationale.
Le pardon, oui, mais la justice dans tout ça…
Mais que la justice fasse son travail. Mais ne me parlez pas de Juan Branco, s’il vous plaît ! Nous parlons entre adultes et la politique est une chose trop sérieuse pour qu’elle soit contée par un enfant.
Vous, connaisseur des relations France-Afrique, êtes-vous persuadé que les relations entre le Sénégal et la France vont continuer sur le même rythme ?
Il faut que les relations politiques, économiques, sociales entre la France et le Sénégal, comme entre la France et les autres pays africains, épousent les temps nouveaux. C’est fini le temps du bilatéralisme, aujourd’hui, place au multilatéralisme. Et aujourd’hui, le Président Macron sait très bien, que c’est gagnant-gagnant. Fini le primat ! Fini la suzeraineté ! Certains estiment que la France tient beaucoup à ses relations africaines, surtout économiques, parce qu’elle est aujourd’hui dans une crise économique. Elle n’est plus ce qu’elle était en Europe. Certains même commencent à faire des railleries en disant que la France est devenue aujourd’hui une puissance africaine. Je n’irais pas jusque-là, mais la France, bien que l’on dise qu’elle est la 6ème puissance mondiale à cause des armements nucléaires, aujourd’hui elle est de second rang. Il y a la Chine, les Etats-Unis, et l’Allemagne et les autres pays. C’est un constat sévère pour mon pays, mais c’est la réalité.
Sonko disait quand il était dans l’opposition qu’il faut que la France lève son genou sur notre cou. C’est votre avis ?
Mais Sonko a tout à fait raison. Ce temps-là est révolu. Qu’il se rassure. Et vous savez très bien que même pendant la période des troubles, j’ai toujours eu des mots justes pour le Président Sonko. J’ai toujours dit qu’il était un homme intelligent, qui a du charisme, qui est éloquent, qui est intelligent. Mais le seul reproche que je lui faisais, c’est qu’il avait le verbe violent et même guerrier et au mépris des institutions. Aujourd’hui, le Sénégal a son tandem de valeur, mais j’en ai connu des tandems dans ma vie, en 50 années. Les tandems ne tiennent jamais longtemps. Je ne veux pas être un oiseau de mauvais augure.
Mais que dites-vous de ce tandem ?
Je souhaite que Diomaye et Ousmane, unis, travaillent en symbiose, en osmose totale. Mais les gens semblent oublier que Diomaye Faye est l’élu du peuple souverain et qu’Ousmane Sonko émane du seul décret présidentiel. Je pense que les gens vont comprendre ce que je viens de dire.
Vous pensez que Sonko et Diomaye vont éviter les pièges qui ont eu raison de beaucoup d’autres tandems en Afrique comme Blaise Compaoré et Sankara ?
Pensez au général Ghazouani et Aziz (Ndlr : en Mauritanie). Je souhaite que ce tandem résiste à tout. Je lui souhaite le succès. Mais le pouvoir change les hommes.