Tract-Après être sorti en salles en Afrique de l’Ouest, Dahomey, le deuxième film de la Franco-Sénégalaise Mati Diop, est sur les écrans français cette semaine. Le film, qui a obtenu le prestigieux Ours d’Or au dernier festival de Berlin, suit le retour au Bénin de vingt-six trésors royaux pillés à la fin du 19e siècle par les troupes coloniales françaises.
RFI : Votre second film, Dahomey, est consacré à la restitution de 26 trésors royaux de l’ancien empire du Dahomey, donc l’actuel Bénin, pillés par l’armée coloniale française en 1892. C’est un film pour la mémoire ?
Mati Diop : Quand vous dites pour la mémoire, j’ai plus envie de dire contre l’amnésie. En tout cas, c’est un film qui, je crois, nous permet d’entrer en relation plus infra, plus profonde et plus sensible à une histoire qui tente trop systématiquement et trop structurellement de se minimiser, d’être effacée et dont les anciennes puissances coloniales refusent de prendre la responsabilité. C’est une histoire dont on essaie de se débarrasser, à tel point que, comme l’exprime avec beaucoup de lucidité et de sensibilité des étudiants béninois dans le film, toute une histoire coloniale, mais pas seulement africaine, ne leur est encore aujourd’hui pas suffisamment transmise.
Dahomey est un film hybride, car vous filmez les préparatifs de départ du Musée du quai Branly à Paris, en France, et le retour au palais présidentiel à Cotonou. Il y a un aspect documentaire, mais vous faites aussi parler les œuvres, une en particulier qui parle à la première personne, en langue fon, une statue anthropomorphe du roi Guezo. Pourquoi cette statue-là particulièrement ?
Il ne s’agit pas que d’une statue qui nous parle, ce ne sont pas seulement ces vingt-six œuvres qui nous parlent. C’est une communauté d’âmes bien plus large en réalité, et multiséculaire aussi, puisque cette communauté d’âme n’a pas d’âge. Elle nous parle du passé, du présent, du futur. Elle parle autant d’une diaspora, d’une jeunesse qui est en train d’entreprendre une démarche de retour vers ses origines africaines. Elle nous parle aussi d’une communauté d’âmes en référence à la traite, aux dépossédés de la colonisation. Cela brasse assez large, à travers une voix qui nous raconte son retour en pays natal, son odyssée de Paris jusqu’à Cotonou.
Vous teniez à faire entendre les jeunes béninois d’aujourd’hui. Comme s’il y avait le cœur des œuvres, le cœur des ancêtres, et puis le cœur des jeunes gens, l’avenir de l’Afrique.
Exactement. À la restitution, j’ai découvert en route que c’était une matière historique, politique, qui permettait d’évoquer le passé au présent, puisque ces étudiants en parlent aujourd’hui entre eux. Pour certains en tout cas, c’est précisément ce rapatriement, cette restitution qui leur a fait prendre conscience de ce qu’ils ne savaient pas précisément. Pour moi, c’était fondamental d’interroger cette jeunesse, en particulier ces étudiants béninois, qui ne sont pas toujours dupes des enjeux, quelque part de la supercherie diplomatique que cette restitution constitue aussi. L’idée, c’était justement de réunir des étudiants qui avaient un regard suffisamment singulier et contrasté sur la question pour restituer la complexité du sujet et interroger tout ce que cette restitution révèle du rapport à un passé, à une histoire non transmise, aux traces de l’histoire coloniale dans le présent, à sa persistance dans les imaginaires. Il me semblait important de se saisir de ce moment pour interroger tout ce que la restitution remue et révèle.