[INTERVIEW] Geneviève DIONE: ‘La gouvernance inclusive comme levier stratégique pour l’amélioration de l’insertion professionnelle’

Tract – Entretien avec Docteure DIONE Geneviève, sociologue, qui s’intéresse aux systèmes alimentaires et aux politiques publiques avec une expertise dans la formation en leadership, culture numérique, communication interpersonnelle, employabilité et entrepreneuriat.

 

Présentez-vous à nos lecteurs

Je suis Geneviève Dione, docteure en sociologie du développement, spécialisée dans l’étude des dynamiques de genre, avec un focus particulier sur les systèmes alimentaires et les politiques publiques. Mon travail de recherche analyse comment les questions de genre influencent et sont influencées par les systèmes alimentaires et les politiques publiques, dans le but de promouvoir une compréhension plus inclusive et équitable de ces dynamiques complexes.

Parallèlement, je suis formatrice certifiée en développement personnel, avec une expertise dans la formation en leadership, culture numérique, communication interpersonnelle, employabilité et entrepreneuriat. J’accompagne les individus dans leur parcours de développement personnel et professionnel, en les aidant à atteindre leurs objectifs tout en favorisant leur épanouissement.

Mon engagement professionnel est guidé par une conviction profonde en la promotion de l’égalité des chances et de l’inclusion sociale, des valeurs que je porte au cœur de mes initiatives. Passionnée par l’autonomisation des groupes vulnérables, je m’efforce de contribuer activement à des projets qui renforcent l’inclusion et l’équité.

Je suis ravie d’échanger sur ces thématiques et de collaborer avec ceux qui partagent cet engagement.

Pensez-vous que la libération du potentiel des femmes par une gouvernance inclusive soit un rendez-vous possible dans les pays africains?

La libération du potentiel des femmes par une gouvernance inclusive est non seulement un rendez-vous possible dans les pays africains, mais aussi une nécessité pour assurer un développement durable et une transformation socio-économique sur le continent. Cependant, sa concrétisation repose sur plusieurs facteurs interconnectés : des réformes structurelles, une volonté politique affirmée, et l’évolution des normes culturelles.

Tout d’abord, une gouvernance inclusive nécessite une volonté politique forte pour repenser les rapports de pouvoir et intégrer les femmes dans les processus décisionnels à tous les niveaux. Un exemple notable est celui du Rwanda, qui a réalisé des avancées significatives en matière de représentation féminine grâce à la mise en place de quotas de genre. Aujourd’hui, plus de 60 % des sièges parlementaires au Rwanda sont occupés par des femmes (Parliament of Rwanda, 2024), faisant de ce pays un leader mondial en matière de parité dans les instances législatives. Cependant, dans de nombreux autres pays africains, ces mesures restent souvent insuffisantes. La simple présence des femmes ne garantit pas une influence effective sur les décisions politiques et économiques, il est donc essentiel qu’elles participent activement et aient un véritable impact.

Ensuite, la gouvernance inclusive ne peut se réaliser sans s’attaquer aux inégalités structurelles qui limitent le potentiel des femmes. Ces inégalités concernent notamment l’accès à l’éducation, aux ressources économiques, aux droits fonciers et aux opportunités professionnelles. Des réformes profondes dans ces domaines sont indispensables pour permettre aux femmes de s’épanouir et de contribuer pleinement à la société.

Enfin, les normes socioculturelles jouent un rôle crucial dans l’émancipation des femmes. Les attentes sociales et les normes patriarcales, encore présentes dans de nombreux pays africains, freinent souvent leur avancement. Toutefois, des mouvements féministes et des organisations de la société civile œuvrent à transformer ces mentalités. Leur collaboration avec les pouvoirs publics pour enclencher des réformes politiques et institutionnelles est essentielle pour surmonter les obstacles culturels et promouvoir une véritable inclusion.

En somme, la libération du potentiel des femmes à travers une gouvernance inclusive est non seulement envisageable, mais essentielle pour l’avenir de l’Afrique. Toutefois, elle nécessite des réformes structurelles, un engagement politique fort, et un changement des normes socioculturelles. Si ces conditions sont remplies, le continent pourra bénéficier d’un développement plus équitable et durable, favorisé par la participation pleine et entière des femmes à la vie publique et économique.

Pourquoi les femmes rurales devraient-elles montrer la voie de l’adaptation aux effets des changements climatiques?

Les femmes rurales devraient occuper une place prééminente dans l’adaptation aux effets des changements climatiques pour plusieurs raisons. Tout d’abord, leur maîtrise des pratiques agricoles locales et des défis environnementaux spécifiques leur confère une expertise précieuse. Cette connaissance leur permet de formuler des solutions adaptées aux réalités climatiques particulières de leur région.

Ensuite, en tant que principales gestionnaires des systèmes alimentaires, les femmes rurales jouent un rôle central dans la mise en œuvre et la diffusion de pratiques agricoles résilientes. Leur influence sur la production alimentaire et la gestion des ressources les place en position stratégique pour intégrer des approches d’adaptation efficaces.

Par ailleurs, leur rôle dans l’engagement communautaire est essentiel. Les femmes rurales ont la capacité de mobiliser et d’éduquer les membres de leur communauté sur les stratégies d’adaptation, facilitant ainsi leur adoption à une échelle locale. En combinant savoir traditionnel et innovations modernes, elles contribuent à l’élaboration de stratégies d’adaptation plus pertinentes et contextualisées.

Enfin, promouvoir le leadership des femmes rurales dans ce domaine renforce non seulement leur autonomisation économique et sociale, mais également le développement durable des communautés. Leur implication active est donc cruciale pour une adaptation réussie aux défis climatiques.

Les femmes rurales ont déjà beaucoup à faire. Ont-elles vraiment le temps et les ressources de montrer la voie de l’adaptation aux effets des changements climatiques?

La diversité des contextes socio-économiques et culturels en Afrique rend complexe toute tentative de catégorisation homogène des femmes rurales. Cependant, en se concentrant spécifiquement sur l’Afrique de l’Ouest, il est possible d’identifier certaines dynamiques transversales, malgré la variabilité des situations locales. Ces femmes, souvent surchargées par une multitude de tâches domestiques, agricoles et communautaires, sont au cœur des systèmes productifs locaux. Dès lors, la question de savoir si elles disposent véritablement du temps et des ressources nécessaires pour conduire les efforts d’adaptation aux changements climatiques revêt une importance capitale et appelle une réflexion approfondie.

En premier lieu, il est essentiel de souligner que, malgré leurs lourdes responsabilités, les femmes rurales détiennent un savoir ancestral sur les écosystèmes et les pratiques agricoles durables. Ce capital de connaissances, hérité au fil des générations et en rapport avec leurs rôles sociaux, les place en première ligne pour identifier des solutions adaptées aux spécificités locales. Ces solutions endogènes se révèlent souvent plus efficaces que les modèles exogènes proposés par des acteurs externes.

Cependant, ce potentiel est entravé par des obstacles structurels majeurs : accès limité aux terres, aux financements, aux technologies et aux formations. Par exemple, au Sénégal, bien que les femmes assurent 80 % de la production alimentaire, elles détiennent seulement 13 % des terres agricoles (FAO, 2011). Au Burkina Faso, la Banque mondiale (2024) estime qu’améliorer l’accès des femmes aux ressources pourrait accroître les rendements agricoles de 20 à 30 %. Au Ghana, malgré les efforts du programme Women in Agriculture Development ayant formé plus de 20 000 femmes, la sous-représentation des femmes dans les instances décisionnelles persiste, avec seulement 13,8 % des sièges occupés par des femmes dans les conseils d’administration des coopératives agricoles (IFAD, 2015).

Ces exemples illustrent que, bien qu’elles jouent un rôle central dans les systèmes agricoles et climatiques, les femmes rurales nécessitent un soutien accru pour pleinement réaliser leur potentiel et contribuer au développement durable. Il est crucial de développer des programmes d’autonomisation ciblés pour alléger leur charge de travail et faciliter l’accès aux financements, aux technologies et aux formations. En libérant du temps et des ressources, ces programmes permettraient aux femmes rurales de devenir des actrices clés de la résilience climatique. En définitive, l’adaptation aux changements climatiques et le développement durable des communautés rurales sont intrinsèquement liés. En investissant dans le leadership féminin, on valorise non seulement leur savoir-faire mais on impulse également des dynamiques collectives de résilience, essentielles pour assurer la pérennité des systèmes locaux.

Les femmes rurales d’Afrique de l’Ouest, malgré les défis qu’elles affrontent, possèdent non seulement la légitimité mais aussi la capacité de jouer un rôle crucial dans la lutte contre les effets des changements climatiques, à condition de bénéficier d’un soutien institutionnel et de ressources adaptées à leurs besoins spécifiques.

Dans un contexte marqué par les discriminations vis-à-vis des femmes dans le milieu du travail, la gouvernance inclusive favorise-t-elle une meilleure insertion professionnelle des femmes ?

Dans un contexte où les discriminations à l’égard des femmes persistent sur le marché du travail, la gouvernance inclusive émerge comme un levier stratégique pour améliorer leur insertion professionnelle. En favorisant une approche participative et équitable, cette forme de gouvernance vise à restructurer les pratiques organisationnelles pour garantir une égalité réelle des opportunités entre les sexes.

Tout d’abord, la gouvernance inclusive est essentielle pour corriger les inégalités structurelles qui limitent l’accès des femmes au marché du travail. L’introduction de quotas de genre dans les conseils d’administration est un exemple concret. Selon une étude de l’Organisation Internationale du Travail (OIT, 2022), les pays ayant instauré des quotas de genre ont observé une augmentation moyenne de 20% de la présence féminine dans les conseils d’administration des entreprises cotées en bourse. En France, la loi Copé-Zimmermann, instaurée en 2011, a conduit à une augmentation significative de la représentation féminine dans les conseils d’administration des grandes entreprises, passant de 12% en 2010 à 45% en 2020 (Miller & Maurel, 2021). De telles mesures permettent une redistribution des opportunités et réduisent les barrières à l’entrée pour les femmes dans des postes décisionnels.

Ensuite, la gouvernance inclusive joue un rôle crucial dans la transformation des cultures organisationnelles en déconstruisant les stéréotypes de genre. Par exemple, la mise en œuvre de politiques de tolérance zéro face aux discriminations, telles que celles préconisées par la Charte de la Diversité, a montré des résultats positifs dans plusieurs entreprises. Un rapport de McKinsey & Company (2023) souligne que les entreprises qui adoptent des politiques d’égalité de rémunération et de promotion des femmes ont 21% plus de chances d’améliorer leur performance financière par rapport à celles qui ne le font pas. La politique de transparence salariale, adoptée par des entreprises comme Salesforce, a permis de réduire les écarts de rémunération entre hommes et femmes de 35% en quatre ans (Salesforce, 2021).

Enfin, la gouvernance inclusive soutient l’autonomisation économique des femmes en facilitant leur accès aux ressources financières, aux formations spécialisées et à l’entrepreneuriat. Le programme « Women in Business » de la Banque Mondiale, par exemple, a soutenu plus de 50 000 femmes entrepreneurs dans des pays en développement, augmentant leur accès au crédit de 30% (Banque Mondiale, 2022). De plus, en facilitant l’accès aux formations et au mentorat, des initiatives telles que le programme « SheTrades » ont permis à 150 000 femmes de renforcer leurs compétences et de s’intégrer dans les chaînes de valeur mondiales (International Trade Centre, 2022).

En résumé, la gouvernance inclusive, en réformant les structures organisationnelles, en transformant les dynamiques internes des entreprises et en soutenant l’autonomisation économique des femmes, joue un rôle déterminant dans l’amélioration de leur insertion professionnelle. Elle constitue ainsi un vecteur essentiel pour la construction d’une société plus équitable et la réalisation d’un développement socio-économique durable.

Considérant le rôle central que jouent les femmes dans les sociétés africaines, que ce soit pour le bien-être des ménages, pour l’éducation des enfants, pour la forte contribution du travail agricole et aux dépenses quotidiennes, etc., quel lien pouvez-vous faire entre genre et résilience ?

Le lien entre genre et résilience dans les sociétés africaines est d’une importance cruciale, compte tenu du rôle central que les femmes jouent dans le bien-être des ménages, l’éducation des enfants, ainsi que dans le travail agricole et la subsistance quotidienne. En effet, les femmes sont des piliers essentiels de l’économie domestique et rurale, assumant la gestion des ressources alimentaires, des finances familiales et des activités agricoles, souvent dans des conditions socio-économiques précaires.

Premièrement, les femmes, en particulier en milieu rural, sont en première ligne face aux crises environnementales et économiques. Leur capacité à développer des stratégies d’adaptation, diversifier les sources de revenus et adopter des pratiques agricoles durables renforce la résilience de leurs communautés. Elles détiennent un savoir traditionnel crucial pour la gestion des écosystèmes locaux, savoir qui est essentiel pour faire face aux impacts du changement climatique, tels que la dégradation des sols et la raréfaction des ressources hydriques. Selon une étude de la FAO (2022), les pratiques agricoles durables mises en place par les femmes rurales contribuent à une meilleure gestion des terres et une réduction de 15% de la déforestation dans certaines régions d’Afrique de l’Ouest.

Deuxièmement, le rôle des femmes dans la transmission intergénérationnelle des savoirs et des pratiques résiliantes est fondamental. En tant qu’éducatrices au sein du foyer, elles transmettent aux jeunes générations des compétences essentielles en gestion des ressources naturelles, solidarité communautaire et adaptation aux crises. Cette fonction éducative constitue un socle indispensable pour renforcer la résilience collective des sociétés africaines face aux aléas climatiques et socio-économiques. Une étude de l’UNICEF (2023) montre que les enfants ayant reçu une éducation sur la gestion des ressources naturelles ont 25% plus de chances de développer des pratiques agricoles durables.

Cependant, les inégalités de genre restent un obstacle majeur à l’optimisation du potentiel des femmes en matière de résilience. Les obstacles structurels tels que l’accès limité aux ressources économiques, la sous-représentation dans les instances décisionnelles et la surcharge des tâches domestiques limitent leur capacité à participer pleinement aux processus d’adaptation et de transformation. Par exemple, la Banque Mondiale (2024) révèle que les femmes en Afrique subsaharienne n’ont accès qu’à 30% des terres agricoles comparé aux hommes, ce qui restreint leur autonomie et leur capacité d’investir dans des pratiques agricoles durables.

Ainsi, une approche transversale intégrant la dimension du genre dans les politiques publiques est nécessaire pour surmonter ces barrières et permettre aux femmes de jouer un rôle moteur dans la résilience des communautés. Pour renforcer cette résilience, il est impératif d’adopter des politiques inclusives et sensibles au genre, visant à réduire les inégalités structurelles et à favoriser une pleine participation des femmes à la gestion des crises et à la transformation socio-économique durable.

Propos recueillis par Baltazar Atangana

Gender advisor et correspondant

noahatango@yahoo.ca