LE PREMIER PRÉSIDENT AHIDJO, MORT À DAKAR IL Y’A 35 ANS, DÉSORMAIS EXPOSÉ AU CAMEROUN

Tract-Une exposition à la mémoire du premier président du Cameroun (1960-1982), à l’occasion du centième anniversaire de sa naissance, est organisée à Yaoundé. Et ce, alors même que ses héritiers politiques brillent par leur discrétion et leur silence autour de cette figure politique qui repose au cimetière musulman de Dakar depuis son décès en 1989 au Sénégal.

Fondation Salomon-Tandeng-Muna, au centre-ville de Yaoundé. Dans ce lieu revit Ahmadou Ahidjo par la magie des archives. Le tout premier président du Cameroun aurait eu 100 ans le 24 août 2024. Des pans importants de sa vie publique sont exposés.
Ici, une galerie de photos le présente en compagnie des figures marquantes de la vie politique camerounaise. Là, une autre le montre avec des personnalités de rang mondial, dont de prestigieux homologues. Tout à côté, une troisième partie de l’exposition est constituée de premières pages d’éditions de Cameroon Tribune, « quotidien gouvernemental », créé en 1974.
Depuis l’ouverture de cette exposition consacrée à la vie d’Ahidjo le 23 août, le site a vu défiler politiques, chercheurs, curieux. « Nous nous organisons pour intéresser aussi les élèves des lycées et collèges de la ville, qui viennent de reprendre le chemin de l’école », explique Ndika Tandjong, responsable à la fondation.
« On ne peut pas faire comme si l’histoire du Cameroun avait commencé en 1982 »
Au premier étage, Akere Muna, initiateur de ce projet mémoriel, n’en est pas peu fier. « C’est d’autant plus important [d’organiser cette exposition] qu’aucune activité n’a été organisée en son nom depuis son départ. J’ai donc pris la décision de le faire parce qu’on ne peut pas continuer à écrire notre histoire avec la gomme. Notre objectif est d’honorer notre histoire : le président actuel est en place grâce à Ahidjo. On ne peut pas continuellement faire comme si l’histoire de notre pays a commencé en 1982 [année où Paul Biya, jusque-là Premier ministre, succède à Ahmadou Ahidjo à la tête du pays, en conformité avec la Constitution alors en vigueur, NDLR] », dévoile l’avocat de renommée internationale.
Le silence des héritiers politiques d’Ahidjo n’en est que plus parlant, et leurs fortunes diverses. D’une certaine manière, Paul Biya, 91 ans, est le plus emblématique de tous. Le 6 novembre 1982, jour de son accession à la magistrature suprême, il rend « un grand et vibrant hommage empreint de déférence et d’admiration » à son prédécesseur. Et affirme : « Il n’y a pas meilleure manière de lui témoigner notre loyalisme que de suivre son exemple, de suivre ses pas. Aussi, […] j’entends situer l’action des années à venir sous le double signe de l’engagement et de la fidélité. »
La suite des événements mit plutôt en exergue une mémorable brouille entre les deux hommes politiques, divisés à propos de la conduite des affaires du pays, sur la prééminence de l’État ou de l’Union nationale camerounaise (UNC), parti unique dont Ahidjo demeura président pendant quelques mois après avoir quitté le pouvoir. Par la suite, la rupture fut consommée lorsque Paul Biya entreprit avec succès la conquête de l’UNC en 1983, avant d’organiser victorieusement l’élection présidentielle anticipée du 14 janvier 1984.
Des héritiers politiques aux fortunes diverses
Signe des temps ? C’est Bello Bouba Maïgari, un autre héritier politique d’Ahmadou Ahidjo, qui a procédé à la coupure du ruban symbolique, en guise d’ouverture de l’exposition à la mémoire du premier président du Cameroun. La trajectoire politique de l’actuel ministre d’État du Tourisme et des Loisirs est révélatrice d’une inconstance certaine. Nommé Premier ministre par Paul Biya le 6 novembre 1982, il n’occupa ce poste que jusqu’au 18 juin 1983.
Il fut accusé d’avoir tenté d’organiser la démission collective des ministres originaires de la partie septentrionale du pays pour mettre en difficulté Paul Biya. Puis vint le temps de l’exil au Nigeria voisin, d’où il revint en 1991, pour, en 1992, prendre les rênes de l’Union nationale pour la démocratie et le progrès (UNDP), une formation politique qui avait jusque-là été dirigée par Samuel Eboua, ancien secrétaire général à la présidence sous Ahidjo, dont il était aussi perçu comme un héritier politique, mais de moindre envergure.
Par la suite, Bello Bouba, élu député en mars 1992, se présenta à l’élection présidentielle d’octobre de la même année, face à Paul Biya. Il fut classé troisième à l’issue du scrutin. En 1997, il boycotta l’élection présidentielle, mais signa avec le Rassemblement démocratique du peuple camerounais – le RDPC, de Paul Biya –, une « plateforme de gouvernement », à la faveur de laquelle il effectua son entrée au gouvernement du 7 décembre, au poste de ministre d’État, en charge du Développement industriel et commercial.
Depuis lors, tout en changeant de portefeuille, il n’a perdu ni son rang protocolaire, ni son fauteuil au sein du gouvernement. Devenu un allié indéfectible de Paul Biya, il a renoncé à se présenter aux élections présidentielles, tout en engageant l’UNDP aux scrutins pour l’élection des députés, sénateurs et conseillers municipaux. Stratégie payante : ce parti, qui tire avantage d’un ancrage certain dans la partie septentrionale du Cameroun, est considéré comme la deuxième force politique du pays, après le RDPC, au terme des municipales de 2020.
Reste que cette visibilité politique contraste avec la timidité d’un travail de mémoire sur Ahmadou Ahidjo, dont Bello Bouba Maïgari, n’a jusque-là pu obtenir le retour des restes au Cameroun. Sur ce dossier, deux autres figures politiques particulières n’ont pas connu plus de succès : Mohamadou Ahidjo, fils aîné du premier président, membre influent de l’UNDP, et ambassadeur itinérant à la présidence d’une part, et Aminatou Ahidjo, fille du défunt président, encartée RDPC, et présidente du Conseil d’administration du Palais des Congrès de Yaoundé, un établissement public. Nombreux sont ceux qui y voient a minima, un échec retentissant.