Tract-On semble vouloir ignorer la pression et le regard de la société
Le problème de l’émigration clandestine est arrivé à son summum. Depuis plusieurs années, les jeunes cherchent désespérément l’espoir qui va les retenir au bercail. Pour eux, la solution se retrouve hors du pays, dans la traversée de la Méditerranée. C’est avec le chavirement de la pirogue à Mbour qu’on se rend compte que la jeunesse n’a plus rien à perdre. La pression sociale, le manque d’emploi, entre autres, sont tant de maux qui ne leur laissent pas le choix entre la mort et la réussite à l’étranger.
Par Khadidiatou GUEYE Fall (journal « Le Devoir »)
Ce dimanche 08 septembre 2024, une pirogue a chaviré sur les larges de la plage de Mbour. Le constat a été plus que dramatique. Des candidats à l’émigration clandestine ont été retrouvés dans une pirogue, dans un état de décomposition avancé. Le bilan s’alourdit de jour en jour. Les corps sans vie repêchés sont tous reconnus comme des jeunes habitant à Mbour. Ce drame a endeuillé tout le pays.
Ce chavirement est la goutte d’eau qui a fait déborder le vase. Ce phénomène existant depuis plus d’une vingtaine d’années nécessite l’implication de tous pour que cela cesse pour de bon. Des familles cherchent désespérément leurs fils partis depuis plus d’une année.
Aujourd’hui, c’est Mbour, la ville de la Petite Côte qui pleure ses enfants dans ce naufrage tragique. Chaque jour, les autorités annoncent des corps repêchés sur la Petite Côte. Malheureusement, ce drame n’est qu’un film déroulé de manière répétitive pour la jeunesse. Car, des années avant, le même scénario s’est produit. Cela n’a pas vraiment affecté la jeunesse pour la pousser à renoncer et à rester au bercail. Au-delà du manque d’emploi, de la pauvreté, de la cherté de la vie, les jeunes semblent être confrontés à un problème qui nécessite une réflexion collective sur les causes et d’éventuelles solutions.
Pour Adiagne, un électricien formé sur le tas, le problème du manque d’emploi et le regard de la société sont les principales causes de l’émigration clandestine. Tenté une fois par le voyage de la mer, il s’est vite ressaisi grâce aux conseils de son cousin émigré par la voie normale. “J’ai remarqué que pratiquement tous mes amis voisins avaient un boulot décent. Certains conduisaient déjà des voitures. Alors j’ai voulu coûte que coûte réussir dans la vie puisque disposer d’un visa et des papiers pour le voyage demande du temps et de la patience. J’en ai discuté avec mon cousin qui travaille en France avec sa femme. Ce dernier m’a dissuadé en m’expliquant les conditions dans lesquelles il était en France avec sa femme” soutient le monsieur aux petits yeux. Il ajoute : “Je doutais qu’il me disait la vérité alors il m’a envoyé des vidéos et des photos qui m’ont vraiment touché. Moi, qui pensais que le paradis c’était à l’étranger. Et que le travail pénible n’existait qu’au Sénégal“.
L’électricien a vite renoncé à l’émigration clandestine après la discussion qu’il a eu avec son cousin. Il décide alors d’exploiter son potentiel en jaugeant le secteur de l’électricité sur le circuit et l’installation des fils de l’électricité.
Sur le tas et clandestinement, il réussit à maîtriser le métier auquel il se destinait. Actuellement, Adiagne a une petite équipe et gagne beaucoup de marchés sur l’installation électrique domestique. Sur la question des causes, il rajoute la pression sociale comme un facteur que les autorités ignorent.
C’est cette pression sociale que Mariama Diop décèle comme la cause la plus plausiblevu la fréquence des embarcations malgré les chavirements annoncés et les pertes humaines. L’ingénieure en informatique regrette la façon de penser de la jeunesse pour atteindre le succès. ” Les jeunes sont obnubilés par une réussite spontanée et par l’émigration. A vrai dire, la vie est difficile partout. Je ne peux pas comprendre un Modou qui refuse de travailler dans les champs du Sénégal, mais accepte de travailler dans les champs de l’Italie ou de l’Espagne. Ça ne colle pas avec le patriotisme que la jeunesse revendique tout le temps. Il y a du travail dans le pays, c’est la sous-estimation des métiers qui empêche les jeunes de voir les opportunités qui s’offrent à eux. Pour moi, peu importe le type de travail que j’exerce, l’essentiel c’est qu’il soit un travail décent pouvant me permettre de vivre décemment» , regrette la spécialiste en informatique.
Mariama ne se limite pas à la sous-estimation des métiers. Elle évoque une pression qui vient des mamans. D’après elle, certaines mamans sont responsables de ce phénomène : “Bizarrement, elles se sentent fières de dire que leur fils est parti en Amérique ou en Europe. Ces mamans débloquent leur tontine pour financer le voyage clandestin de leurs enfants sans en tirer le contre”. Pour notre interlocutrice, la sensibilisation ne suffit plus. L’État doit poser des actes forts en collaborant avec la population. Avant de sensibiliser les jeunes, il faut aborder le sujet avec les mamans qui sont parfois la source de motivation de ce voyage en mer sans destination certaine.
Source (autorisant aimablement la publication par syndication à Tract.sn de cet article) :
Le Devoir
(journaliste : Khadidiatou GUEYE Fall)