[REPORTAGE-TRACT] TAILLEURS-AMBULANTS À CLIQUETIS AU SÉNÉGAL : Les tailleurs nigériens ambulants et sonnants de Ndar

TRACT – Depuis quelques années, il est difficile, que dis-je, presque impossible de rester une journée sans voir passer des jeunes sillonner les rues et ruelles des villes, machine à coudre sur les épaules. Faisant tinter leurs ciseaux dans leur main, ils sont à la recherche de clients qui aimeraient bien leur confier chemises, pantalons, jupettes et autres boubous… charcutés par le temps ou quelque négligence.

Sans aucune formation en couture, c’est ainsi que la majeure partie d’entre eux ne travaillent uniquement qu’à coudre des habits déchirés, moyennant une somme de 200 à 500 FCFA par pièce selon l’ampleur des dégâts de l’étoffe présentée. Nous avons voulu en savoir plus.

Pour entrer dans leur univers qui se façonne en plein air, il nous a suffi de nous faufiler dans quelques quartiers de Saint-Louis pour rencontrer ces tailleurs ambulants qui voudront bien nous livrer les secrets de ce métier, un phénomène qui a fini de prendre sa place dans le décor des villes et villages du Sénégal.

Après une tentative sans succès durant la matinée, nous sommes retournés sur le terrain, l’après-midi et, par chance, nous sommes tombés sur un groupe de trois jeunes qui revenaient en ville après une journée passée dans les villages environnants de Saint-Louis.

Le premier constat, est qu’ils sont tous des étrangers, originaires de Niger. Aucun sénégalais, parmi le trio.

Issoufou, âgé de 23, machine à coudre sur les épaules, une paire de ciseaux dans la main, a accepté malgré une attitude réticente de ses compagnons, de nous faire le récit de son voyage au Sénégal:

“Au Niger, dans mon village, les conditions de vie y sont très difficiles. Mes parents, pauvres, ne nous ont pas laissé grand-chose après leur décès. La seule richesse qu’ils détenaient, c’était des chèvres. Après le partage de cet héritage avec mes neuf (9) frères, j’ai eu sept (7) chèvres que j’ai entretenues pendant trois (3) mois, mais difficilement. Lorsqu’une de mes chèvres est morte, j’ai décidé de vendre les six (6) pour faire du commerce ou quelque chose de très rentable. J’ai parlé de mon projet à mon frère aîné qui, du fait de mon manque d’expérience en commerce, m’a dissuadé de renoncer à cette idée et de ne pas me précipiter pour mon avenir vu que je suis encore jeune. Par la suite, j’étais découragé et j’en ai échangé avec mon ami ici présent. Lui, il est au Sénégal depuis deux ans. Lors de nos discussions, il m’a conseillé de venir le rejoindre et de faire ce travail de tailleur ambulant. Voilà comment je suis arrivé ici”, nous a-t-il raconté dans un premier temps.

Un paquet de biscuits à la main, le jeune homme originaire du Niger poursuit:

“Je suis passé par le Mali pour venir au Sénégal. J’ai fait presque une semaine pour y arriver. Mon ami m’a accueilli et m’a hébergé, on partage le loyer à la fin de chaque mois, chacun donnant 15.000f pour le paiement de la chambre. Deux après mon arrivée, j’ai acheté une machine à coudre, deux paires de ciseaux et des fils. Ce sont là les outils dont on a besoin pour faire le travail. J’avoue que je n’ai jamais appris le métier de tailleur. Mais dans ce travail, avoir une formation en couture n’est pas nécessaire parce qu’on fait seulement des bricolages”.

Sur la même dynamique, il renchérit:

“Il faut avouer que l’on rencontre beaucoup de difficultés, le travail ne marche pas toujours. On peut travailler du matin au soir et nous retrouver avec 2.000 FCfa à la fin de la journée. Si je gagne davantage dans une journée, c’est 3.500 pas plus. On fait plusieurs kilomètres par jour, avec la machine à coudre qui fait plus de 10 kilos sur nos épaules et on peut faire plusieurs heures de marche sans trouver un client. Avec le minimum qu’on gagne on est obligé de faire des économies, en essayant de dépenser le minimum. C’est pourquoi je peux rester une semaine sans manger du riz parce que la nourriture au Sénégal coûte très chère. Et l’autre difficulté que nous rencontrons, c’est la langue. Le wolof est trop compliqué. Quand nous avons un ou une cliente qui ne comprend pas le français, la communication devient difficile. Au lieu de nous parler, c’est des signes qu’il nous fait avec les mains pour nous montrer ce qu’ils veulent. Une seule chose sur laquelle on peut se comprendre, c’est sur le prix. Je fais des efforts pour comprendre le wolof mais, c’est une langue très difficile à apprendre”.

Lui emboîtant le pas, son ami et tuteur Oumarou se confie à son tour:

“Moi, je me suis mieux adapté qu’Issoufou parce que j’ai fait 2 ans ici avant qu’il ne vienne me rejoindre. On est du même village et on est amis depuis notre enfance. J’ai eu les mêmes difficultés que lui lors de mes premiers mois. Quand je suis arrivé au Sénégal, je dormais dans la rue, dans des garages de voitures, je n’avais pas encore le minimum pour louer une chambre. C’est après que j’ai rencontré un compatriote qui m’avait hébergé chez lui pendant un mois, le temps que je sois stable. Maintenant, je remercie Dieu, je n’ai pas beaucoup d’argent mais je ne dors plus dans les rues. Le Sénégal est un pays où la vie est trop chère, on dépense la moitié de ce qu’on a gagné en nourriture et l’autre moitié sert à payer le loyer. Il est trop difficile de faire des économies si on ne se prive pas de deux ou un repas par jour. La chance qu’on a est que les Sénégalais sont très ouverts et très solidaires. Ils s’assoient avec nous, discutent avec nous sans manquer de respect. C’est une chose qui facilite notre intégration. Moi, plusieurs fois des clients m’ont obligé avec insistance à manger chez eux pendant que je leur bricolais des vêtements. Ce n’est pas chez nous, mais c’est quand-même moins dure que ce que j’envisageais avant de venir ici”, a-t-il conclu.

Hadj Ludovic