AccueilA la Une Audition des magistrats par la commission d’enquête de l’assemblée nationale dans...

[POINT DE VUE] Audition des magistrats par la commission d’enquête de l’assemblée nationale dans le nouveau Règlement intérieur: quelques précisions essentielles (par Amadou Ba, député Pastef)

Publié le

Tract –  »En tant que membre de la commission ad hoc chargé de la rédaction du nouveau Règlement intérieur de l’assemblée nationale (RIAN), il m’a paru important d’apporter quelques précisions suite aux inquiétudes soulevées par le magistrat Mamadou Yakham Keïta.

Dans un article publié dans les médias intitulé: « Quand le juge devient justiciable devant le Parlement », l’éminent juge au Pool judiciaire financier alerte sur les dangers et risques de la possibilité ouverte dans le nouveau RIAN d’auditionner les magistrats devant ses commissions d’enquête.

Il estime que la possibilité d’auditionner un magistrat peut entrer en contradiction avec le principe sacro-saint de la séparation des pouvoirs et devenir potentiellement un instrument de pression du juge et de son indépendance.

Il convoque pour s’en convaincre le droit comparé, en faisant remarquer que les grands systèmes démocratiques de la France, des États Unis ou du Royaume Uni n’ouvrent pas cette possibilité à leur parlement au nom de la protection de l’indépendance des magistrats.

Ces inquiétudes sont légitimes et il faut savoir gré au juge Keïta d’avoir permis le débat juridique grâce à sa contribution de très haute facture.

Qu’il me plaise ici de pouvoir lui apporter quelques éléments de réponse qui pourront définitivement (je l’espère humblement) apaiser ses craintes.

Il faut rappeler que le nouveau Règlement intérieur est le fruit d’un travail collectif avec la participation de tous les groupes parlementaires.

C’est ce consensus qui a permis son adoption par la plénière, à l’unanimité. Ce qui est exceptionnel vu le contexte politique.

Ensuite, le Règlement intérieur apporte de très nombreuses modifications et innovations, dont les plus importantes se retrouvent effectivement dans les dispositions sur les Commissions d’enquête qui tenaient en un seul article dans l’ancien RIAN.

Aujourd’hui, ce ne sont pas moins de 5 articles (art 53 à 58) qui traitent des Commissions d’enquête, montrant une volonté de renforcer sa légalité et son efficacité.

Effectivement, désormais, les personnes appelées pour audition ont l’obligation d’y déférer avec le soutien de la force publique au besoin.

La Commission d’enquête ne peut se faire opposer le secret professionnel dans la communication de certains documents (sauf ceux touchant la Défense).

L’assemblée nationale a en outre maintenant la possibilité de saisir la justice si ces commissions d’enquête découvrent des faits pouvant être qualifiés de crimes ou délits.

Ces innovations sont des ruptures importantes visant à garantir la mission constitutionnelle de l’assemblée nationale de contrôle de l’action du gouvernement.

Bien sûr qu’il est aussi désormais possible d’auditionner des ministres et des magistrats, mais pour ces derniers, il est apporté des garanties essentielles empêchant toute possibilité de dévoiement des commissions d’enquête en instrument de pression sur la justice.

Tout d’abord, avant toute constitution d’une Commission d’enquête, le Bureau de l’assemblée nationale saisit OBLIGATOIREMENT le ministre de la justice pour recueillir son avis sur d’éventuelles interférences avec des affaires judiciaires en cours.

Si le ministre confirme ces possibles interférences, la proposition de constitution de la Commission d’enquête est annulée sine Die (art 54).

Ensuite, Il ne peut être créé de commission d’enquête lorsque les faits ont donné lieu à des poursuites judiciaires et aussi longtemps que ces poursuites sont en cours ou qu’un jugement définitif est intervenu sur les faits. Si une commission a déjà été créée, sa mission prend fin dès l’ouverture d’une information judiciaire relative aux faits qui ont motivé sa création (art 53).

Pour l’audition des magistrats en service, il est OBLIGATOIRE de solliciter l’autorisation du Ministre de la Justice (art 56). L’assemblée nationale ne peut donc convoquer DIRECTEMENT un magistrat, encore moins requérir la force publique à son encontre.

On voit qu’il impossible qu’une commission d’enquête fasse quelque ingérence contre l’indépendance de la justice et des magistrats dans des affaires en cours, car le ministre de la justice est érigé en rempart infranchissable contré toutes velléités parlementaires.

Plus déterminante, une commission d’enquête sur la justice ne concerne que le SERVICE PUBLIC DE LA JUSTICE, et non des affaires en cours ou déjà jugées.

Par exemple, si l’assemblée nationale souhaite comprendre les causes de la surpopulation carcérale, il sera impossible d’aboutir à des réformes structurantes sans l’audition des acteurs clefs que sont les juges d’instruction et les procureurs qui sont au cœur des problématiques liées aux longues détentions préventives.

D’ailleurs les magistrats ne sont pas les seuls concernés. Les ministres peuvent être auditionnés sur AUTORISATION du Président de la République, de même que les députés sans besoin de lever leur immunité parlementaire.

Ces innovations apportées au RIAN sont certes révolutionnaires par rapport à ce qui avait cours au Sénégal, mais elles n’atteignent pas ce qui se fait dans les démocraties majeures.

En France par exemple, on se souvient tous de la commission d’enquête dans l’affaire Doutreau avec la mémorable audition du Juge Burgeau.

Tout le monde y passe en France, du premier ministre, au magistrat jusqu’au plus petit fonctionnaire, même les gérants des grandes entreprises privées, jusqu’à récemment les Tiktokeurs et influenceurs pour réguler leur influence sur la jeunesse.

Comme nous pouvons le constater, l’Assemblée nationale est en train d’opérer une véritable révolution démocratique pour être conforme à ses missions constitutionnelles jusque-là en léthargie.

Mais cette révolution se fait dans le strict respect des droits de personnes auditionnées avec des garanties procédurales réelles, eu égard à leur statut particulier, et dans le strict respect du principe à valeur constitutionnelle de séparation des pouvoirs.

Honorable député Amadou Ba, Pastef

Derniers articles

[FOCUS] Refuser un visa à un Académicien sénégalais de renom : un affront à la science et à la dignité (Par Dr Papa Abdoulaye...

Tract - ''Monsieur le Consul Général de France,  Je vous écris en tant qu’ancien Ministre,...

[ÉCOFINANCE] Éviter la crise chronique de l’endettement (Par Me Amadou Aly KANE)

Tract - La Cour des Comptes avait arrêté à hauteur de  99, 97 %...

[POINT DE VUE] Quand le juge devient justiciable devant le Parlement… (Par Mamadou Yakham Keita)

Tract - Le projet de nouveau règlement intérieur de l’Assemblée nationale du Sénégal introduit...

[FOCUS] L’approche sectorielle du changement climatique, un blocage aux financements et aux politiques climatiques (par Dr Aliou Gori DIOUF)

Tract - À l’occasion de la Conférence mondiale sur le financement du développement, ouverte...

Plus d'articles

[EXCLUSIF TRACT] Le jeune Lassana Traoré a signé mercredi à Saint-Etienne

Tract - Lassana Traoré, jeune latéral gauche international sénégalais, a signé au sein de...