[TRIBUNE] Par Ousseynou Nar Gueye | L’AGENCE AFRICAINE DE NOTATION FINANCIERE VOULUE PAR MACKY, ALORS PRÉSIDENT DE L’UA : À QUAND ? 

 

C’était la grande cause du Salltennat d’un an de Macky à la tête de l’Union Africaine, son mandat entre le 5 février 2022 et le 18 février 2023 : favoriser , impulser et, pourquoi pas, inaugurer la création d’une agence africaine de notation financière. Cela ne s’est pas fait à son époque, ni même avant la fin de son magistère à la tête du Sénégal. Qu’en est-il d’eux ans et demi après ?
On ne peut pas dire que le successeur immédiat de Macky a la tête de l’UA, le Comorien Azali Assoumani, se soit mis martel en tête pour cette question de notation financière africaine sur les dettes souveraines de nos pays tropicaux.
Toutefois, en juin dernier, il a été annoncé que L’African Credit Rating Agency (AfCRA), un nouvel organisme privé de notation de crédit, devrait commencer ses activités en septembre 2025.
Ce projet d’agence est soutenu par des acteurs du secteur privé de toute l’Afrique, et non par des gouvernements, afin de garantir son indépendance et sa crédibilité.
Déjà un retard à l’allumage ? 
Le lancement en était initialement prévu pour juin 2025 lors d’un sommet du Mécanisme africain d’évaluation par les pairs (MAEP) mis en place par le NEPAD, mais des retards ont repoussé le calendrier.
L’African Credit Rating Agency (AfCRA) ambitionne de « fournir des évaluations de crédit axées sur l’Afrique pour les États souverains, les institutions financières et les entreprises ».
L’AfCRA dit vouloir se spécialiser « dans la notation de la dette en monnaie locale et adaptera ses méthodologies aux économies africaines en utilisant des données régionales et des indicateurs socio-économiques. Sa première notation souveraine est attendue entre fin 2025 et début 2026.
Misheck Mutize, expert en notation de crédit au MAEP du NEPAD, a confirmé que des consultations étaient en cours pour nommer le premier directeur général de l’agence.
Mais pourquoi et pour qui donc une agence de notation « africaine’ ? N’en existe-il pas déjà avec Bloomfield de Stanislas Zézé et Global Credit Rating en Afrique du Sud ? GCR qui a acheté, rappelons- le , WARA, l’agence de notation lancée par le Sénégalais feu Seydina Tandian.
Au niveau des entités publiques africaines, comme a l’ADEPME du Sénégal (Agence de Développement et d’Encadrement des PME), sous son précédent Directeur Général Idrissa Diabira, a prospéré un mécanisme de notation et de profilage des PME appelle ‘e-rating », mécanisme auquel fait entièrement confiance une banque partenaire comme Ecobank, pour financer les PME qui sont fléchées vers elle par l’ADEPME, estimant que l’évaluation du risque effectuée par e-rating de l’ADEPME est suffisamment sérieuse pour être prise en compte, en toute confiance.
Alors donc, pourquoi ce projet d’agence de notation africaine (supposément publique au départ) est -elle une si forte exigence des gouvernements africains, porte a l’époque de sa présidence de l’UA par Son Excédence Macky Sall ? Il est vrai que le Président sénégalais d’alors trouvait injuste que quand il y a des émeutes pendant deux mois en France, Standard and Poor’s , Fitch et Moody’s ne pipent mot, mais des qu’il y a les mêmes émeutes pendant une semaine dans une capitale africaine subsaharienne, les mêmes agences de notation dégradent fissa la note souveraine du pays concerné. Ce qui renchérit d’autant es cout auxquels empruntent ces pays africains, entraînant une déperdition de plusieurs centaines de milliards dans leurs Trésors Publics respectifs .
Car en fait, le maitre mot est …la confiance. La confiance : le mot est lâché. La confiance ne se décrète pas, elle se construit.
La confiance se gagne goutte par goutte et se perd en litres. 
C’est bien pour cela, et on le comprend aisément, qu’en début mai dernier, le Directeur de publication de l’hebdomadaire Financial Afrik, le Mauritanien de Dakar Adama Wade, qualifie cette affaire d’agence de notation africaine de « fausse bonne idée ».
Mais citons plutôt longuement Adama Wade ici :
« Rappelons un principe de base : une notation n’a d’effet que si les créanciers s’en servent. Et ces créanciers, dans le cas de l’Afrique, sont encore largement extérieurs. Ce sont les marchés internationaux, les investisseurs institutionnels, les détenteurs d’eurobonds, les banques multilatérales. Une agence, aussi africaine soit-elle, ne sera utile que si elle parle un langage compris et respecté par ces acteurs.
D’ailleurs, il suffit de regarder ailleurs pour mesurer la marche à gravir. La Chine dispose de plusieurs agences nationales de notation, comme Dagong Global Credit Rating, tout comme le Japon, avec des entités comme Japan Credit Rating Agency (JCR) ou Rating and Investment Information (R&I). Ces agences ont trouvé leur place non parce qu’elles étaient patriotes, mais parce qu’elles sont adossées à des marchés des capitaux massifs, liquides, et bien structurés. Pékin comme Tokyo disposent de bases d’investisseurs locales colossales, de fonds de pension puissants, d’institutions financières disciplinées, et de cadres réglementaires éprouvés. Sans ces fondations solides, leurs agences ne seraient aujourd’hui que des vœux pieux.
L’Afrique n’est pas démunie. Des agences comme Bloomfield Investment Corporation, basée à Abidjan, ou Global Credit Rating, active en Afrique australe, opèrent déjà avec sérieux. Si Bloomfield prospère, c’est parce qu’elle s’inscrit dans un marché réglementé : celui de l’Union monétaire ouest-africaine (UMOA), où une note investment grade est exigée pour émettre sur le marché obligataire régional sans avoir à recourir à une garantie. Ce n’est donc pas l’agence qui crée le marché, mais le marché qui donne sens à l’agence.
Il est donc illusoire de penser qu’on pourra faire l’économie d’une vraie réforme structurelle du marché financier africain en brandissant une agence nouvelle. On ne fabrique pas la confiance avec un communiqué. Il faut des statistiques crédibles, des institutions solides, un cadre réglementaire cohérent, et des investisseurs locaux confiants. Sinon, on construit une maison sans fondation – et gare au premier vent.
Ajoutons à cela un réflexe humain mais dangereux : la tentation, pour le débiteur, de contester l’opinion du créancier. Une notation n’est pas un satisfecit, c’est une analyse du risque vue depuis le portefeuille de l’investisseur. Se dire incompris n’est pas une stratégie. Si le coût d’accès au marché est élevé – ce qu’il est, incontestablement – la réponse doit être technique, budgétaire, diplomatique, pas institutionnelle. Notre récente analyse entre les coûts d’emprunt du Maroc et de la Côte d’Ivoire sur des maturités et des montants quasi-similaires montre que lesdits coûts élevés ne sont pas une fatalité.
En attendant, comme l’a rappelé, le rwandais Claver Gatete, sur un PIB cumulé de plus de 3 000 milliards de dollars, l’Afrique ne compte que deux pays classés en catégorie investissement. En fin de compte, claironne l’ancien ministre rwandais, « un écosystème de notation sain va au-delà de l’évaluation du risque : il devient une plateforme de mobilisation du capital, d’amélioration de la solvabilité et de soutien aux objectifs plus larges de développement de l’Afrique « .
Au final, l’Afrique n’a pas besoin d’une énième agence pour exister financièrement. Elle a besoin de marchés profonds, de discipline budgétaire, d’un dialogue régulier avec les agences existantes – et surtout de crédibilité. La meilleure note est celle qu’on ne demande pas, parce qu’elle découle naturellement de la confiance inspirée. Tout le reste n’est que cosmétique. » Fin de citation.
L’analyse du patron de Financial Afrik est froide, brutale et sans concession nais elle reflète certainement la réalité du terrain et du rapport des forces en présence, en matière d’emprunts et de financements en Afrique.
Début juin 2024, la Rédactrice en chef Économie de Jeune Afrique, Aurèlie Mbida, ne dit pas autre chose et renchérit même, en prenant exemple sur ‘ ‘le cas emblématique du Sénégal’’ comme elle l’écrit, dont la note souveraine venait d’être dégradée une deuxième fois (NDLR : depuis lors, la note financière du Sénégal a été dégradée une ….troisième fois !).
Voici ce qu’écrit Mme Mbida : ‘‘Ce n’est pourtant pas une donnée nouvelle : les méthodes d’évaluation de Moody’s, Fitch Ratings ou S&P, les trois leaders mondiaux de la notation, sont conçues pour des économies développées, et donc peu adaptées aux spécificités des pays africains. L’informalité de certaines dépenses, le recours ponctuel à des prêts relais, la complexité des garanties croisées dans les partenariats public-privé sont rarement bien intégrés dans leurs modèles et coûtent, chaque année, des milliards de dollars d’intérêts au continent.
(…) en 2024, la Fondation Mo Ibrahim souligne que les notations financières des pays africains sont inférieures à ce qu’elles devraient être si l’on prenait en compte les fondamentaux macroéconomiques réels desdits États, corrigés des biais de perception. Une injustice qui alimente un cercle vicieux. Une mauvaise note, c’est un coût du crédit plus élevé, donc plus de dette, donc une note encore plus mauvaise. Et ainsi de suite.
Le cas du Sénégal est emblématique. Bien que l’erreur soit réelle, la réaction a été tout aussi disproportionnée (deux crans de dégradation !). Pendant des années, les agences ont applaudi le pays pour ses performances macroéconomiques, adoubé ses eurobonds, salué sa stabilité. Aucun signal fort, aucune alerte publique. Et puis, à la faveur d’un audit interne – non mené par une agence, mais par l’État lui-même, par le biais de sa cour des comptes –, la sentence tombe. Pourquoi ? Parce que les notations sont fondées sur ce que les gouvernements déclarent ? Parce que, même si elles contrôlent 95 % du marché mondial de la notation, les agences ne font que répéter ce que les chancelleries, le FMI ou les directions du Trésor leur soufflent ? Est-ce acceptable ?
À l’heure où l’Union africaine parle de souveraineté financière et où plusieurs voix appellent à créer des agences africaines de notation crédibles, la question prend un tour politique. L’enjeu consiste à ne plus déléguer l’évaluation de la solvabilité du continent à des acteurs qui méconnaissent ses réalités et ne rendent de comptes à personne.
Sans nier les dérives budgétaires de certains États ni blâmer systématiquement les agences pour les fautes commises par certains gouvernements, il est temps d’exiger plus de responsabilité, plus de transparence… des deux côtés. Et, surtout, de construire un écosystème africain d’analyse financière qui produise une notation alternative et qui casse l’hégémonie de Wall Street sur les finances publiques africaines. Car une Afrique mieux notée, c’est aussi une Afrique mieux financée’’. Fin de citation.
On ne saurait mieux conclure, ainsi, en allant dans le sens d’Adama Wade et d’Aurélie Mbida.
Car une place (forte) de marche ne se décrète pas : elle se construit et se constate. 
La place des trois grands de la notation financière sera pour longtemps encore prépondérante pour les écosystèmes d’emprunt financiers des pays africain surtout subsahariens. Cùest comme pour les Big Four du Conseil aux États ( audit, assurance, consulting, conseil financier, gestion du risque et conformité fiscale) que sont Ernst & Young (EY) Deloitte, KPMG, et Price WaterHouse Coopers (PwC), auxquels il faut peut-être rajouter Mc Kinsey : elles n’ont perdu du terrain en Afrique et ont même commence a en partir (comme cela a été récemment le cas de PwC en Afrique centrale) que lorsque de solides firmes de conseil africaines ont émergé, ont grandi et se sont imposées. On peut ainsi citer Mazars ou Performance Consulting au Sénégal.
Ainsi donc, à l’aune d’une absence d’agence de notation africaine leader dont on se saurait décréter l’existence et la performance ultérieure par la simple volonté politique, si forte soit-elle, rappelons pour le déplorer, que :
– La cotation de l’or africain se fait dans une bourse au Canada (Toronto) et dans une autre Bourse en Australie
– Le marché de l’art africain (contemporain ou ancien) a pour places fortes Paris et New-York et pour commissaires – priseurs qui font la cote de nos artistes en arts plastiques Sotheby’s et Christie’s
– Le cours du cacao et du café dont la Cote d’Ivoire et le Ghana sont parmi les plus grands producteurs mondiaux se décide à la Bourse de Londres et au New York Stock Exchange, a Wall Street donc.
On pourrait continuer encore longtemps.
Alors, par où passe le salut africain ? 
D’abord par une augmentation importante des échanges commerciaux et financiers intra-africains, qui, il est vrai, entre 2000 et 2025, sont passés de 3% à 21% des échanges des pays africains. Ensuite, cela passe par la mobilisation des milliards de dollars des diasporas africaines, à faire déposer dans des banques africaines (y compris banques africaines qui installeraient des agences dans les pays (occidentaux) de forte présence migratoire africaine et dans lesquelles les avoirs serait comptabilisées en monnaies (locales africaines) pour que cet argent de la diaspora ne soient pas uniquement fléchés vers le financement de la subsistance mensuelle des ménages de leur parentèle en Afrique ou vers des projets immobiliers privés qui ne créent certainement pas suffisamment d’emploi ni d’emplois décents : que cet argent de la Diaspora qui dépasse maintenant les IDE soit fléché vers l’investissement économique et le financement de projets. Et enfin, il faut plus qu’une Bourse des valeurs Mobilières, fut-elle régionale (Abidjan) dans l’UEMOA : Dakar mérite d’avoir sa propre Bourse ; Lome aussi peut accueillir valablement une Bourse ; tout ceci pour mobiliser les épargnes nationales et celles des investisseurs étrangers dont les fameux fonds de pensions nord-américains (USA et Canada). Mais tant que l’Afrique représentera 2% des échanges financiers mondiaux, tout ceci ne sera qu’un voeu pieux.
Ousseynou Nar Gueye
Directeur Général des médias numériques Tract Hebdo (tous les jeudis) et Tract.sn;
– Directeur Général d’Axes et Cibles Com (www.axes-cibles-sn.com)

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