Il ne faut point être ‘gatteu khèl’, n’est -ce pas? Aussi, en ce mois de Safar du Grand Magal de Touba triomphant du mouridisme, nous ne pouvons ne pas évoquer, voire plus, parler en profondeur, des autres confréries musulmanes sénégalaises et aussi de l’Église chrétienne, notamment celle de foi catholique, du pays dont le premier Président fut l’ex-fervent séminariste Léopold Sédar Senghor, qui, passé par chez les Pères de Ngazobil, eut pu faire un Pape noir de grande stature, s’il avait définitivement embrassé la soutane. Mais alors, la République du Sénégal eut beaucoup perdu, si Senghor, ‘Zinc thia kow’ (selon l’expression du Khalife général des Mourides de 1945 à 1968, Serigne Falillou Mbacke), n’en avait pas été le premier chef de l’État !
Talibéship sénégalais donc : c’est ce dont il est question ici! Eh bien, de mon point de vue, le talibéship est la chose la mieux partagée dans ce pays de foi et de pratique religieuse fervente, ou à tout le moins, toujours ostentatoire, même quand elle n’est pas profondément ancrée dans une solide connaissance des textes religieux et de l’histoire de sa religion.
Talibéship au Sénégal. Car, les premiers résistants, furent d’abord les marabouts prophétisants avec le prosélytisme au bout de l’épée, à l’instar d’El Hadj Oumar Foutiyou Tall et tant d’autres, qui convertirent à l’islam, tous ces rois nègres païens de nos ersatz de royaumes sénégalais, et nouèrent des relations d’alliances avec eux par le mariage entre les membres de leurs familles.
Ces rois islamisés et les marabouts djihadistes du 19ème siècle résistèrent aux colonisateurs français aussi, par l’épée et les mousquets à un coup contre les canons et les fusils à six coups des Blancs, puis par la medersa (les daaras) de l’enseignement religieux ; les cercles religieux (les dahiras) et par la persévérance dans leur être de Noirs, à travers leurs langues, leurs coutumes et leur culture. Pour ce qui de l’islam. Il apparait même que cet islam africanisé, sénégalisé, était une des plus grandes formes de résistances contre le colonialisme et ses politiques assimilationnistes.
Même ayant fini de coloniser le Sénégal, pays à majorité musulmane (mais avec une puissante minorité catholique, reposant entre autres sur les familles métisses et gourmettes des Quatre Communes, avec les Signares et leurs descendants, forts des lignées légitimes issues de leurs mariages « à la mode du pays » avec les colons), les Français prirent garde et firent en sorte que le droit musulman, dit par des Cadis officiels, coexiste avec le Droit de la République (française). Il y a d’ailleurs un vrai recul de ce point de vue de la double justice, car en 2025, nous n’avons plus de Cadis musulmans dans les tribunaux. Toutefois, pour nuancer ce propos, il y a que le Code de la Famille que fit adopter Senghor en juin 1972, fait la part belle à la jurisprudence islamique en matière de droit de la famille, de droits successoraux, de mariage, de divorce, de filiation…Bref, pour l’essentiel. La société sénégalaise est donc à l’équilibre, d’un point de vue de sécurité juridique.
Le Sénégal, à part pour les quelques dizaines de milliers d’Ibadou Rahmane salafistes qui célèbrent les fêtes religieuses en même temps que la Mecque, est composé surtout et seulement des confréries. Et de l’Église. Confrérie Mouride (la plus vibrionnante et la plus influente), Tidiane (qui serait la plus importante en nombre de fidèles et qui passe pour une confrérie « intellectualisante’’), Khadre, Layène, Niasséne…
Tous sont d’abord des Talibés. C’est-à-dire des fidèles qui croient qu’entre eux et Allah SWT, il y a le Guide, Le Marabout, leur Serigne, qui leur montre la Voie et les y initie, et auxquels ils prêtent allégeance pour ce qui est de la connaissance religieuse. Des Talibés, c’est-à-dire des fidèles qui pensent qu’en toutes choses, pour en devenir un Maître, il faut d’abord en avoir eté un disciple obéissant, tel un talibé aussi peu rétif « que le cadavre entre les mains du laveur de morts », pour reprendre l’expression de Cheikh Ahmadou Bamba.
Talibé Mouride Sadekh, Talibé Cheikh, Talibé Layenne Lahi Lahi, Talibé Baay Niass, Talibé Khadre ; leurs confréries sont les rayons d’une seule et même roue qui mènent en son noyau central au même moyeu : la religion qu’est l’Islam soufi.
A cet égard, croyez-m’en, les Chrétiens ne sont pas en reste :ce sont eux aussi des talibés. Des Talibés Yessu Christa. Notamment les Catholiques sénégalais, qui, peut-être dans l’émulation avec les musulmans ou par simple ‘‘contamination culturelle réciproque’’, ne se contentent pas de manger maigre durant leur Carême de 40 jours : ils jeûnent carrément et s’abstiennent de boire pendant tout la journée et ne consomment qu’un repas par jour, dont la viande est exclue. Les catholiques des autres pays ne font pas ainsi.
Comme il y a un islam sénégalais, il y a un catholicisme sénégalais. Et tous se retrouvent dans l’accord que, c’est la prise en compte de toute cette diversité religieuse, qui fait le liant de la Nation sénégalaise, dont la base est le dialogue en toute chose, et le consensus pour trancher de toute question sociale ou sociétale éminente, à l’issue de longues palabres souvent. D’où donc, l’importance et la prééminence du dialogue islamo -chrétien dans notre pays, qui permet aux chefs religieux d’être les régulateurs sociaux incontournables de la vie sociale sénégalaise, y compris au plan politique.
Même s’il est vrai qu’aucun chef religieux, fut-il Khalife général de confrérie, ne donne plus de consigne de vote à une élection présidentielle (n’ont-ils pas des talibés dans les deux camps ? si !), il n’en demeure pas moins ceci: quand la classe politique menace de fracturer le pays ou de le faire verser dans le précipice, pour cause d’excès d’antagonismes électoralistes, ce sont nos chefs religieux, ceux des confréries musulmanes et de l’Église catholique (laquelle est aidée de son laïcat très fort) qui prennent soin de les « ramener à l’ordre ». Que ce soit en leur murmurant a l’oreille, surtout pour celui qui est le ‘‘Primus Inter Pares’’ (le Président de la République, comptable de nos destinées collectives) ou alors en édictant publiquement des sentences très fortes dans le sens de la paix sociale à préserver a tout prix, y compris sur le ton de l’injonction (biblique ou coranique).
C’est ce talibéship sénégalais de toutes les religions dans ce pays, qui nous dote d’un entendement bien propre à nous de la laïcité.
La laïcité chez nous n’est pas séparation de l’État et des clergés religieux musulmans et chrétiens. La laïcité chez nous, c’est que l’État fasse en sorte que toutes les fois puissent se vivre par leurs fidèles dans la paix et la tranquillité sociale, et avec l’exercice le plus large, et l’octroi par l’État d’une même dignité à toutes les fois religieuses et à toutes les confréries au sein de l’Islam. En cela, notre laïcité bat en brèche celle telle que vécue en Europe de l’Ouest (France d’abord, mais aussi Italie, Portugal, Espagne, Allemagne, etc.), ou la laïcité a pu mener à la reconnaissance d’un droit au blasphème et d’un droit à la critique des religions, qui s’est souvent vite transformé ces dernières décennies en droit de détester et d’ostraciser les membres d’une religion. Ainsi, en Occident, l’anti-islamisme a fini de frayer dangereusement avec une croisade anti-musulmans. Par parenthèse, constatons quand même que les pays scandinaves, pays permissifs par excellence, ont fini par légiférer contre le blasphème, étant donné les importants troubles à l’ordre public et les graves attentats que cela provoquait.
Il est vrai que l’attitude conquérante (ne serait-ce que démographiquement) des musulmans d’Occident, a pu faire craindre ce que d’aucuns appellent Le Grand Remplacement, pour ce qui est des populations européennes dites de souche. D’où une guerre de civilisation idéologique, mais aussi militaire sur des fronts du Moyen-Orient, dont le début symbolique est l’attentat contre les deux tours du World Trade Center en 2001 et dont le début de la vraie prise de conscience de la folie sans issue de cette guerre des religions, me semble avoir été le choc créé par l’attentat contre ceux qu’il faut bien appeler les blasphémateur professionnels de Charlie Hebdo (pour être juste, les journalistes de Charlie tapent sur toutes les religions et continuent de le faire d’ailleurs en 2025, sous protection policière et en vivant cachés. Et pour ma part, je leur reconnais leur droit au blasphème sur leur territoire. Toutefois, le dessinateur belge Gëluck (de la série ‘‘Le Chat’’) apporte une nuance intéressante en disant « qu’il ne caricature pas l’islam car il ne le connait pas ». C’est à prendre en considération, très sérieusement ).
Sur la laïcité, deux combats frontaux opposent les fois sénégalaises à l’occident laïcard : le droit au blasphème et la légalisation de l’homosexualité, y compris jusqu’au mariage entre personnes de sexe avec adoption d’enfants ou conception assistée d’enfants.
Les Sénégalais, dans leur foi (musulmane ou chrétienne) demandent à ne pas être envahis (conquis ?) par les excès de tolérance donnés à ces deux dimensions qui relèvent pour une grande partie de l’Occident démocratique, à travers leurs leaders officiels, des plus élémentaires des droits de l’Homme.
La posture opposée, et à tête totalement renversée, conduit, hélas, souvent aussi à des excès au Sénégal. Comme le fait de déterrer et de bruler le cadavre d’un homosexuel présumé à Kaolack. Ou le fait d’agresser physiquement, jusqu’à attenter à sa vie, tout auteur de propos outranciers, non seulement contre Dieu, mais aussi contre les figures maraboutiques qui en sont les premiers Serviteurs et Intercesseurs, chez nous. Aussi, il faut prier et travailler à ce que nous gardions et préservions notre islam de tolérance et de bienveillance, et notre christianisme de tolérance et de bienveillance. Quand on est bien armé de foi, on n’a point besoin de se faire le bras armé et vengeur de notre Créateur l’Unique, que nous l’appelions Dieu ou Allah SWT. Et la tolérance est et demeurera la base de ce qui fait notre vivre-ensemble sénégalais : le dialogue christiano-musulman.
Quid des Juifs, qui composent la troisième des religions révélées ? Au Sénégal , ils ne sont pas dans l’équation sociétale. Toutefois, je plaide pour que notre soutien au peuple palestinien injustement martyrisé et qui fait l’objet d’un nettoyage ethnique, ne se transforme pas en antisémitisme camouflé derrière un antisionisme de façade, et en haine des Juifs.
Ousseynou Nar Gueye
– Directeur Général des médias numériques Tract Hebdo (chaque jeudi) et Tract.sn (www.tract.sn)
– Directeur Général de l’agence de communication 360° et d’intelligence économique ‘Axes et Cibles Com’ (www.axes-cibles-com.sn)
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