[INTERVIEW] Heyndricks BILE: ‘Réhabiliter l’Histoire de la Musique dans la vie de la nation camerounaise’

Tract – Échange avec Heyndricks BILE co-auteur, avec Thierry MINKO’O et Kaisa PAKITO, de l’ouvrage « 100 titres clés de la variété camerounaise : 1950-2020 » (2024).

 

Certainement, comme d’autres lecteurs, nous sommes curieux de découvrir ce projet en nous procurant très bientôt l’ouvrage en librairie. Toutefois, pourriez-vous nous présenter brièvement cet ouvrage ?

Il s’agit d’une esquisse d’anthologie de la chanson camerounaise, de la période précédant de peu l’Indépendance du pays à 2020. Dans le fond et sans prétention à l’exhaustivité, les auteurs se sont employés à une dissection des œuvres fortes du patrimoine national, en s’appuyant sur leur identité rythmique, leur popularité, leur capacite à traverser les époques et de leur influence sociale vérifiable. Sur la forme, l’option prise a été de privilégier une écriture vivante et un style parfois romancé pour agrémenter la lecture et de-fossiliser certaines œuvres anciennes. Les chansons sont présentées suivant leur ordre chronologique de parution, avec analyse détaillée et références discographiques exactes.

Doit-on voir, à travers ce projet, une manière d’anthologie de la musique camerounaise ou une simple analyse sociale de la musique camerounaise des indépendances à nos jours ?

Les deux lectures se rejoignent dans l’ouvrage. Certains lecteurs choisiront de n’y voir qu’une succession des «hits» de la chanson camerounaise depuis 1950. D’autres y liront la manière dont la chanson camerounaise a nourri ou construit l’imaginaire collectif, accéléré ou subi les changements politiques, illustré ou anticipé les conjonctures sociales. En ressortant des détails historiques méconnus et gardant le fil de la précision, les auteurs ont, à la fois, voulu réhabiliter l’Histoire et éclairer le rôle de la Musique dans la vie de la nation camerounaise. En cela, nous pensons que l’ouvrage s’adresse autant aux universitaires qu’aux journalistes/animateurs radio, aux mélomanes avertis comme aux simples curieux, etc.

N’est-il pas un peu prétentieux de se prêter au jeu de vouloir condenser les sens et les variations de plus de 5 décennies de la musique camerounaise dans un pareil projet ?

L’ouvrage n’a aucune prétention à l’exhaustivité et ne ferme pas la porte à d’autres recherches et projets d’écriture plus approfondis. Il est donc moins question de «condenser/enfermer» l’étude que de l’élargir voire l’enrichir de notre contribution. On dit souvent qu’il est temps que l’Afrique écrive sa propre histoire, pour les générations actuelles et à venir. Avec ce livre et la mine d’informations qu’il contient, nous croyons apporter notre modeste pierre à l’édifice.

Est-ce que les titres qui figurent dans cet ouvrage sont qualifiés de  » titres clés  » parce qu’ils offrent une grille de lecture générale de la musique camerounaise?

Ils sont «clés» parce qu’ils laissent éclater la splendeur du génie camerounais aux oreilles du monde et que, de ce fait, leur trajectoire se confond à celle du pays. «Soul Makossa» de Manu Dibango ou «Zangalewa» des Golden Sound appartiennent à ce registre.

Ils sont «clés» parce que leur originalité rythmique ou textuelle leur a conféré popularité, puis immortalité auprès de millions de mélomanes. «Essingang» des Têtes Brûlées ou «Mbambambe» des Rrum Tah répondent à ces critères.

Ils sont «clés» parce qu’ils préfigurent ou reflètent, de manière singulière, une camerounité insoluble dans les acides de la mondialisation. Il est significatif, de ce point de vue, de dire qu’on ne peut pas voler les paroles de «Si tu vois ma go» de Koppo ou «Hein Pere» de Stanley Enow aux camerounais.

Ils sont «clés» parce qu’ils constituent la boussole ou le repère historique capital pour saisir les mutations de la société camerounaise à un moment donné. «Bolo Cellucam» de Samson Chaud Gars est un marqueur essentiel pour comprendre le désastre des «Eléphants blancs» dans les années 1980. Les chansons «Mbimba Kunde» de Jean Bikoko, «Bien entendu» de Oncle Medjo me Nsom et «Merci» de Tsimi Torro laissent apprécier, chacune à une décennie bien définie, les variations entre l’Assiko, l’Assiko Bulu et l’Assiko Bon b’Eton ; révélant du même coup la richesse rythmique du patrimoine national.  L’esprit frondeur des années 1990 ou de février 2008 transparait admirablement dans «No Make erreur» de Lapiro de Mbanga, «Mot Nnam» de Sala Bekono ou «Ce pays tue les jeunes» de Valsero.

Toutes les chansons majeures de la scène nationale ne sont peut-être pas traitées dans l’ouvrage mais nous avons la conviction que chaque camerounais digne de ce nom se reconnait dans 80% au moins du corpus.

Propos recueillis par Baltazar ATANGANA

(noahatango@yahoo.ca)