La responsabilité sociétale d’entreprise (RSE), après avoir été érigé en concept à la monde, a fini de devenir un véritable « must » pour les entités du monde corporate. La RSE, après le chiffre d’affaires et les bénéfices, marque l’entrée d’une entreprise dans la cour des grands. Celles des entreprises qui pensent aux prochaines générations et ont l’ambition de perdurer au-delà de l’existence de leur fondateur. Dans cette interview de décembre réalisée pat le journaliste Amath Bâ sur une radio nationale, Oumar Ndir, Directeur Générale du Groupe SEEE revient sur l’entrée de son entreprise au sein du Forum de la RSE. Et évoque l’influence inattendue qui l’a conduit à lancer le Groupe SEE dans la RSE. Une douce pression venue de son cercle très proche. Le Groupe SEEE, une entreprise à suivre en 2020. Interview.
M.Oumar NDIR, votre entreprise a le profil idéal pour participer au forum sur la RSE de cette année. Vous avez parmi vos clients des entreprises nationales, l’État du Sénégal et les grandes entreprises privées et donc vous êtes habilité aujourd’hui à nous parler de la relation d’une entreprise dans une relation de sous-traitance. Mais également de l’ambition légitime d’une entreprise qui veut être un champion dans sa catégorie dans les années futures puisqu’on sait que l’émergence du Sénégal passera par l’entreprise, elle passera aussi par les grands travaux et vous êtes exactement dans ce domaine. Quelle a été votre motivation à participer au Forum RSE de cette année ?
Oumar NDIR : Je vais d’abord commencer par présenter mon groupe : le groupe SEEE est présent dans les lots électromécaniques du bâtiment ; tout ce qui concourt à l’habitabilité et au confort d’un bâtiment nous le faisons : la climatisation, l’électricité et la plomberie. Nous avons un autre pôle d’activité : nous produisons de l’énergie avec l’installation de centrales thermiques. Ce que l’on appelle centrale thermique comprenez-le comme « de gros groupes électrogènes » qui sont capables de fournir de l’électricité pour une ville de petite taille. C’est ce que nous faisons depuis le début de l’année pour la Senelec dans la région de Sédhiou et dans la région de Tambacounda. Le troisième pôle d’activités que nous avons est dédié à la fourniture et l’installation d’ascenseurs que nous développons avec un partenaire européen, en Espagne notamment, sous notre propre marque.
La problématique à laquelle j’ai été confronté c’est celle qui touche un peu plus toutes les entreprises : il arrive qu’à un moment donné on s’interroge sur sa légitimité, sur l’avenir et sur les enjeux de l’avenir.
On pense « métiers », on pense « finance » mais on pense également aux différents leviers sur lesquels on va devoir jouer pour s’améliorer et grandir. En ayant cette réflexion, il m’a paru absolument indispensable d’aller vers la RSE. Bien évidemment, on ne rentre pas dans la RSE parce qu’on est frappé tout d’un coup par une révélation subite ou parce qu’on a un parcours RSE. C’est une démarche, une volonté. Je dois dire que la chance que j’ai eue c’est celle d’avoir toujours été dans l’engagement communautaire, associatif notamment, et j’ai la chance d’avoir à mes côtés, dans ma vie, une personne, mon épouse, qui a la charge de la conduite RSE d’un grand groupe présent au Sénégal depuis plusieurs années.
Et plus je discutais avec elle sur ses problématiques, sur son travail au quotidien et plus je percevais l’intérêt de la RSE. J’ai commencé à m’y intéresser, à me documenter là-dessus et il est devenu évident pour moi que je devais franchir cette barrière, ce complexe de la taille (petit groupe, avec des ambitions certes, mais modestes) et aller effectivement rejoindre de grandes entreprises, dont beaucoup sont mes clientes, pour pouvoir discuter avec elles de ces enjeux RSE, de ce que nous pouvions nous, petit acteur de l’économie au niveau du Sénégal, avoir comme contribution pour l’amélioration du climat des affaires et pour la compétitivité de nos entreprises.
C’est ainsi que j’ai été amené à participer à ce forum (une première pour moi), en faisant de grandes découvertes et avec beaucoup de plaisir.
Quand on parle de RSE et de relations entre les entreprises, on pense surtout à créer de l’harmonie, créer du respect mutuel, une vision partagée du développement. Primo, qu’attend une entreprise comme la vôtre comme améliorations dans l’environnement des affaires ? Deuxio, comment ces entreprises peuvent-elles ensemble contribuer à rendre le climat des affaires plus propice ?
O.N : Avant de répondre sous l’angle affaire, je voudrais retenir simplement la dernière phrase dans laquelle vous avez dit le mot climat. La RSE est une des composantes de ce qu’on appelle les objectifs de développement durable. Parmi ses composantes vous savez qu’il y a cette partie climat. Je dois dire que la première problématique, la première chose qui m’a interpellé à titre personnel, c’est celle des questions environnementales, les questions liés à la dégradation du climat. J’ai écouté avec intérêt pendant le forum les développements du Ministre Aly HAIDAR surtout lors de sa présentation sur la destruction accélérée de la planète, etc. Ce sont des questions qui interpellent, qui m’interpellent en tant que citoyen du monde et le lien est vite fait avec une entreprise comme la mienne qui œuvre dans des secteurs qui, bien évidemment, ont un impact qui n’est pas toujours des meilleurs, pour ne pas dire parfois dégradant, sur l’environnement et cela nous pousse à nous interroger sur la responsabilité qui est la nôtre dans ce processus qui est malheureusement très entamé, je veux dire par là, le processus de détérioration de notre planète.
Et donc quand on s’interroge et qu’on se dit « il faut que je fasse quelque chose », il est évident que la RSE est une manière pour les entreprises de manière générale et pour mon groupe en particulier de dire : « d’accord nous avons un impact qui peut par moment être négatif sur l’environnement mais soyons éco-responsables, plongeons-nous également dans une réflexion en vue d’amoindrir cet impact négatif et même si on ne peut pas le supprimer, qu’on puisse au moins jouer notre partition pour améliorer tout cela ». Après, plus on progresse dans la RSE comme nous avons eu à le faire, plus on affine son analyse et sa compréhension des problématiques en matière de RSE.
Philippe BARRY et vous-même Amath avez contribué également à faire « mûrir » en moi et mes collaborateurs ce concept de RSE.
Nous avons eu des échanges, ici au sein de l’entreprise, qui nous ont amené à affiner notre réflexion et à comprendre réellement, de manière très précise, ce que comporte la RSE en termes d’impact sur mon groupe, sur mes affaires, sur ma relation avec les autres : celles qu’on appelle maintenant « parties prenantes » que ce soit en interne comme en externe.
Cela nous permet de rebondir sur la partie développement durable. Le Sénégal a des ambitions par rapport à l’émergence et les entreprises sénégalaises ont une ambition légitime, celle de devenir des champions de demain à l’échelle nationale mais également à l’échelle continentale. Pour se faire, il faut qu’une entreprise de moyenne taille puisse grandir dans un contexte où elle travaille déjà avec des multinationales ou elle est en concurrence avec ces multinationales. Comment aujourd’hui voyez-vous à travers la RSE ou d’autres pratiques, la synergie qui pourrait se développer afin que les entreprises sénégalaises puissent se hisser au niveau des ambitions du Sénégal ?
O.N : Récemment, j’ai reçu un cours magistral de la part d’un respectable entrepreneur ayant fort bien réussi, qui œuvre dans le secteur des mines et à qui j’ai demandé conseil sur une démarche professionnelle. Un homme ayant une très belle expertise malheureusement méconnue et dont l’entreprise œuvre sur 18 pays en Afrique et dans la plus totale discrétion. Cet entrepreneur auprès de qui je me plaignais de la concurrence féroce de certains grands groupes qui arrivent ici, au Sénégal, portés par de grands projets et qui en profitent bien évidemment pour débaucher nos personnels, m’a dit ceci :« tu ne peux pas refuser cette globalisation. Cette globalisation est un processus contre lequel nos états n’ont pas les moyens de lutter en fermant la porte. Ils ont besoin de travailler avec ces grands groupes et nous devons en être conscient. Mais c’est à nous, entreprises africaines, de construire nos propres plans d’émergence. C’est à nous de nous structurer de manière à pouvoir leur tenir la dragée haute. En ce qui nous concerne, nous avons compris depuis longtemps que nous devions jouer sur plusieurs leviers : d’abord le professionnalisme de nos équipes, ensuite le coût de nos prestations qui constitue un argument imparable. Un grand groupe international ne parviendra jamais à rabaisser significativement le niveau de ses frais de structure. Ces grands groupes ont des niveaux de charges de structure telles que les salaires de leurs expatriés, les véhicules, les frais de siège, extrêmement élevés. Cette compétitivité nous l’avons de facto mais il faut que sur le plan technique nous sachions nous vendre auprès des donneurs d’ordre. Il faut également que nous acceptions le défi de la rigueur ».
Ceci dit j’ai bien intégré tout ce que m’a dit cet aîné et effectivement je n’ai rien à en redire.
Après cet entretien et après avoir reçu ces précieux conseils, mon envie de dénoncer cette concurrence déloyale s’est beaucoup apaisée et j’ai compris dans quelle direction nous devions aller. A présent, je pense que la bonne démarche est d’abord de structurer nos entreprises de façon à ce que nous soyons dans des normes de qualité très élevées. Il faudrait que n’importe quel donneur d’ordre qui nous auditerait sur des points de qualité se rende compte que notre entreprise a mis en place des process et fait réellement de la qualité.
Il faut aussi que nous multipliions les bonnes références.
Il faut enfin que nous sachions nous entourer de compétences et, quand cela est nécessaire, de casser la tirelire pour les attirer à nous.
Ce sont autant de facteurs endogènes sur lesquels l’entreprise doit jouer.
L’entreprise doit également savoir communiquer : nous sommes dans un monde global où il faut être visible sur les réseaux sociaux, être présent dans l’espace médiatique pour pouvoir évidemment se faire connaître. Mais aussi savoir parfois inspirer et susciter l’intérêt et faire naitre des vocations.
Toutefois, il y a deux obstacles majeurs :
1/ le manque d’abondance en ressources humaines de qualité
Dans notre secteur, nous avons certes une grande institution, l’École Polytechnique de THIES, qui est un vivier très intéressant et qui forme beaucoup d’ingénieurs. Nos métiers, sont ceux de l’ingénieur et dans un environnement normalisé, nous aurions dû être un pôle attractif pour ces écoles et pour les ingénieurs qui en sortent diplômés. Mais nous ne le sommes pas, d’abord en raison de notre petite taille, ensuite en raison de la faiblesse de nos moyens financiers ne nous permettant pas de rémunérer ces ressources humaines en nous alignant sur les grilles salariales des multinationales. Nous sommes également très peu attrayants par rapport à certains grands groupes permettant à un jeune diplômé de faire carrière et d’occuper différentes stations. Ceci dit, même lorsque nous disposons de ressources financières, nous constatons souvent que les jeunes diplômés sont quelque peu trop pressés : ils ne veulent pas blanchir sous le harnais et ils ne veulent pas prendre le temps de grandir et d’apprendre. Nous recrutons parfois des jeunes aux dents longues, extrêmement pressés, qui veulent faire une carrière éclair (rires).
C’est ce qu’on appelle la génération ADSL. D’autres l’appelle la Génération Y. Cela pose problème et cette raréfaction de la bonne ressource humaine est un facteur plutôt pénalisant pour nous.
J’en profite pour faire un plaidoyer au niveau du Conseil National du Patronat du Sénégal afin qu’il trouve les voies et moyens de faire accélérer la création par l’État et le Privé national d’écoles de formation aux métiers de l’ingénieur, etc. Pour pouvoir amorcer un développement à l’image de l’Île Maurice ou de Singapour, il n’y a pas secret : plus vous avez une masse critique de personnes éduquées et bien formées plus vous allez développer votre économie et votre pays. La raréfaction de ressources humaines bien formées est un frein absolu au développement de nos entreprises et à leur compétitivité.
Le deuxième obstacle c’est évident et je pense que toutes les personnes à qui je m’adresse savent de quoi je parle :
2/ l’accès aux financements est extrêmement difficile dans nos pays.
J’aime à dire parfois à certains amis entrepreneurs européens « vous n’imaginez pas la chance que vous avez : lorsque nous travaillons sur un appel d’offres au Sénégal, nous intégrons des coûts financiers qui sont extrêmement élevés. Alors qu’au Sénégal nous empruntons à 9% hors TOB, de votre côté, en Europe, vous travaillez à moins de 2%. Quand nous, nous sommes obligés d’attendre 3 mois pour une commande (en ouvrant de couteuses lettres de crédit documentaire) avec ce que cela comporte comme impact financier, vous européens avez des délais de livraison extrêmement courts. On vous livre en camion et il ne faut pas plus que quelques heures de route entre votre fournisseur et votre site de production. Cerise sur le gâteau, vous n’avez pas à patienter longuement avant de voir exécuter les transferts bancaires. Tout cela, bien évidemment, renchérit le coût de l’investissement pour notre client, le client final et tout cela nous oblige à mobiliser des sommes extrêmement importantes et tout cela a un coût et rend les choses beaucoup plus difficiles ».
Tous les problèmes auxquels les banques sénégalaises ont été confrontés, à savoir, défaut de remboursement d’emprunt ou faillites d’entreprises, ont contraint la Banque Centrale à demander aux banques commerciales d’être extrêmement prudentes et d’appliquer les ratios prudentiels. Nous avons tous entendu parler de Bâle 2 et de Bâle 3, qui sont des normes prudentielles relatives aux banques, qui les poussent à durcir un peu les conditions d’accès au crédit. Nous sommes aujourd’hui à un tournant décisif car étant pris dans cet étau financier qui ne nous permet pas d’explorer tout notre potentiel et d’être compétitif tout simplement. Un entrepreneur européen qui a accès à des financements à 2% (avec des conditions d’accès beaucoup plus souples) rattrapera de facto les points de compétitivité qu’il perdait par rapport à nous.
Il y a des initiatives évidemment qui ont été prises par l’état du Sénégal : je pense à la BNDE ou au FONGIP. Ces initiatives ont été saluées à leur juste valeur mais je m’interroge aujourd’hui sur les résultats obtenus ? Est-ce qu’on a mesuré l’impact qu’il y a eu sur l’activité des entreprises ? Est-ce que cela a permis également de faire naître des champions tels qu’on le souhaite ? Je pense que à ce niveau-là il y a vraiment un travail à faire. (Fin de la première partie de l’interview; deuxième partie à suivre).
Propos retranscrits par Binta Séye
Tract @2019
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