Comment soigner cette folie et « bousiller » les embarcations ?
Tract – On se croirait en pleine réminiscence des cahoteux parcours en mer des boat people des années 90. Une folie ramenée par le temps dans notre géographie et qui n’épargne point les jeunes. Lesquels affrontent chaque jour une mer broyeuse de pirogues remplies de désespérés économiques – ou de désespérés par volonté, le mot mérite d’être souligné – pensant trouver le bout du tunnel dans une Europe qui, paradoxalement, affronte ses démons ayant pour noms : chômage, richesses s’amenuisant, mésentente sur des politiques publiques et budgétaires, sécheresse, montée de l’extrême droite, etc.
Au Sénégal, chaque jour, le deuil devient une nouvelle douleur omniprésente dans chaque contrée et surtout dans les localités côtières frustrées par une pêche artisanale à quai face aux bateaux étrangers aux insolents filets.
Mais osons-le dire : il y a de la folie dans cette « transe migratoire ». Des pirogues tournant en spirale, perdant le sens de l’orientation pour s’échouer à une plage aux senteurs du pays ; des départs sous le regard indifférent du spectacle des hécatombes ; l’hypocrisie d’une mère qui pense que, malgré la présence menaçante de la mort dans les immenses étendues d’eau, son fils ne fera jamais partie des victimes, parce qu’elle l’a béni ; l’inconscience rebutante faisant croire que la réussite n’est possible que sur l’autre rive ; la mobilisation de l’épargne fort non-négligeable d’espèces sonnantes et trébuchantes, pourtant source de financement pour l’auto-emploi, jetée dans la besace des « recruteurs » au voyage, vampires assoiffés. Pour tout dire : c’est une véritable honte nationale.Dans une société à la mentalité intercalée entre le voyeurisme et l’orgueil de soi, l’on peut comprendre aisément, depuis le premier choc pétrolier des années 70 doublée d’une terrible sécheresse en Afrique subsaharienne, sanctionnée par les premières vagues de l’exode rural, avec son pendant émigration, pourquoi c’est devenu presque une coutume d’aller déposer son baluchon à « Tougël » (Europe) – les Pulaars et Soninkés du Nord-Est étant les premiers candidats – pour sauver l’honneur de la famille (élargie).Le gouvernement, pendant ce temps, cherche la bonne formule pour recaler en masse les candidats à l’émigration clandestine. Pour « bousiller » les moteurs des embarcations de la mort, des ordres sont donnés aux structures concernées de suer sans et eau afin d’étouffer ces initiatives morbides. Cela, avec un renfort non négligeable en hommes et logistique de la part de l’Espagne, pays dont l’une des localités connue tristement comme Barça, a presque la même connotation que Barsakh. Mais il faut avouer que le chantier de la surveillance des eaux maritimes est titanesque et qu’en conséquence, l’objectif de l’opération ne sera pas facilement atteignable. Les brancardiers ont encore de longs jours devant eux, malheureusement !Face à l’épineux problème, pourtant les autorités proposent des solutions en mettant sur pied des fonds conséquents pour accompagner les jeunes porteurs de projets : le Fongip, Agri-Jeunes prônant le retour à la terre (l’agriculture) en font partie. Seulement, c’est un chemin de croix pour beaucoup d’entre eux de franchir les étapes administratives menant à l’accès au financement, surtout pour les analphabètes. Comment s’y prendre tout en arrêtant de pointer un doigt accusateur vers le Nord ? Ne devrions-nous pas encourager aussi bien la politique anti-déperdition scolaire que l’augmentation de l’implantation des lycées techniques ? Et pourquoi ne pas aussi initier des formations populaires en gestion pour les jeunes illettrés pour leur faire prendre conscience – par un changement de mentalité – que leur épargne, au lieu d’engraisser des passeurs cyniques, peuvent leur offrir des possibilités de réussite à domicile ?
Bassirou Niang –Tract (tract.sn)