Le « gouvernement Sall de Toussaint » a donc consacré le ralliement du second de l’élection présidentielle de février 2019 (Idrissa Seck, 20% des voix) au vainqueur de cette mère des batailles (le président Sall, 58% des votes). Plus, celui de quelques autres anciens irréductibles du camp faisant jusqu’alors en face au pouvoir.
La transhumance, donc.
Aujourd’hui, tout le monde accepte que les socialistes présumés de gauche et les libéraux prétendus de droite sénégalais gouvernent ensemble, sans programme commun de gouvernement, au seul motif qu’ils ont gardé les vaches maigres de l’opposition ensemble.
Souffrons dès lors que des individus changent de panache partisan, au gré de la météo électorale, et du fonds de l’air de l’arène politicienne.
Le citoyen lambda qui change de parti n’intéresse personne. La vox populi aura toujours le loisir de lui rappeler ses contorsions idéologiques s’il lui arrive d’accéder à des postes de responsabilité. Le transhumant, celui qui intéresse la vindicte populaire : c’est le notable qui change de parti, pour celui au pouvoir.
Or, le notable sénégalais, religieux ou temporel, est investi du pouvoir sur les hommes de façon sui generis et intuitu personae. Il entretient ce pouvoir par des prières dispensées par postillons. Ou par des enveloppes d’argent distribuées aux baptêmes et aux obsèques. Lorsque le régime qu’il soutient est renvoyé électoralement dans l’opposition, le notable-par-essence vit une tension de son être qui le met au bord de la rupture d’anévrisme. Le notable par profession de foi ne rétablit sa cohérence ontologique qu’en ralliant le nouveau pouvoir.
Le transhumant vit dans le soutien à son prochain. Lui couper l’accès aux ressources publiques et aux privilèges républicains, c’est de la non-assistance à personnes en danger, pour tous les souteneurs qu’il entretient.
Les « transhumants » ne sont pas des girouettes, ce sont des poteaux indicateurs.
Le Maitre du Jeu, détenteur du pouvoir d’Etat qui accueille le transhumant, use alors de convolutions rhétoriques pour justifier la « mobilité politique ». Ce ralliement désintéressé à son auguste personne. Les thuriféraires du Maitre du Je, eux, essaient de nous expliquer que le Timonier suprême n’a pas dit ce qu’il a dit.
La transhumance a ceci de beau qu’elle est un baromètre infaillible pour démontrer que le Sénégal n’est pas une démocratie réelle.
La fable d’un Sénégal qui vote depuis 1848 est bien commode. En 1848 et bien en avant dans les premières décennies du 20ème siècle , ne votaient au Sénégal que des Blancs coloniaux et quelques maigres milliers de natifs des fameuses « quatre communes »
Il n’y pas de démocratie quand l’élection est un examen de bonne moralité et non un concours d’efficacité des programmes. La démocratie ne peut se limiter au rituel de se rendre périodiquement aux urnes. La carte d’électeur n’est pas une arme de chantage, c’est un moyen d’expression et un outil de sélection. Il n’y pas de démocratie quand les enfants mendiants sont le décor naturel des rues. Il n’y a pas de démocratie quand l’école dite française est légalement interdite dans des localités du Sénégal. Le Président actuel a été un adepte apparent de la répétition qualifiée de pédagogique : il s’est évertué à redire que son premier septennat serait à durée rétractile. Contraint et forcé, de manière fort à propos, par la Cour constitutionnelle, il a fini par accepter que son Saltennat ne sera quinquennal que s’il était réélu. Tout comme, il ne se hasarde plus à soutenir que « les marabouts sont des citoyens comme les autres ». On ne sait en revanche s’il sera candidat en 2024, et on peut parier que lui-même ignore encore s’il le sera.
Oui, comme dit l’autre politologue, « le Sénégal est une exception sur le plan de la démocratie » : hé bien, cette exception, c’est de se croire une démocratie alors qu’elle n’en est pas une.
Laissons les transhumants tranquilles: ils sont la fièvre qui maintient la « démocratie sénégalaise » à la température normale.
Ousseynou Nar Gueye
Fondateur de Tract
General Manager d’Axes & Cibles Com SARL
(A partir d’une tribune publiée pour la 1ère fois en avril 2015 sur Dakatactu)