[PORTRAIT] Omar Blondin Diop, activiste de première heure, philosophe et grand acteur !

Tract – Omar Blondin Diop est né le 18 septembre 1946 à Niamey (Niger) de parents sénégalo-maliens, Ibrahima Blondin Diop et Adama Ndiaye, respectivement médecin et sage-femme, tous deux diplômés de l’École de Médecine de l’Afrique-Occidentale française (AOF). C’est au titre d’«élément anti-français» que son père, sympathisant de la Section française de l’Internationale ouvrière (SFIO), dirigée au Sénégal par Lamine Guèye, est affecté au Niger, avec sa mère, par l’administration coloniale. 

 

De retour au Sénégal au début des années 1950, le jeune Omar intègre l’école française et passe son enfance principalement à Dakar. Au lendemain de l’indépendance politique du pays en 1960, son père décide d’obtenir un doctorat d’État en médecine et déménage en France avec sa famille. À Paris, Omar, élève brillant, aîné d’une fratrie de onze garçons, rentre en classe préparatoire hypokhâgne au lycée Louis-le-Grand (1964) puis khâgne au Lycée Claude Monet (1965) avant d’intégrer l’École normale supérieure (ENS) de Saint-Cloud en 1966.

Avec le lancement de la révolution culturelle en Chine la même année et du Mouvement pour la liberté d’expression à l’Université de Berkeley deux ans plus tôt, Blondin Diop devient un témoin privilégié de la structuration en milieu estudiantin français des différentes formations politiques issues du marxisme. Membre de l’Union des étudiants communistes (UEC) puis de l’Union des jeunes communistes marxistes-léninistes (UJCML), il ne le sera pas longtemps : en plus de son aversion à l’autorité hiérarchique, il cultive un certain éclectisme théorique, préférant la synthèse doctrinale à la défense époumonée d’une idéologie unique. Outre le maoïsme, il s’intéresse aussi au situationnisme, à l’anarchisme ou encore au trotskysme. Son engagement militant lui vaut d’être repéré, grâce à son ami d’enfance Antoine Gallimard, par Anne Wiazemsky, collaboratrice et compagne d’alors du cinéaste suisse Jean-Luc Godard, lequel lui propose de jouer son propre rôle dans La Chinoise, film d’anticipation sur Mai 68.

Membre fondateur du Mouvement du 22 mars à l’Université Nanterre, à laquelle il est rattaché en tant qu’étudiant-professeur normalien, Blondin Diop participe notamment à la nuit des barricades du 10-11 mai ainsi qu’à l’occupation de la Sorbonne à partir du 14 et celle de l’ambassade du Sénégal à Paris le 31. Au cours de cet été 68, il effectue plusieurs voyages à Londres, où il passe le plus clair de son temps à fréquenter réalisateurs et artistes de la contre-culture underground britannique, dont Simon Hartog, co-fondateur du London Film-Makers’ Co-op, qui le fera tourner dans son film expérimental Soul in a White Room. Un an après La Chinoise, Blondin Diop retrouve également Godard pour le tournage de One Plus One, en présence du groupe de rock The Rolling Stones et de militants du Black Panther Party (BPP).

Blondin Diop( au centre en rouge) dans «La Chinoise» (1967) de Jean-Luc Godard.

Habitué jusque-là à circuler librement en Europe, Blondin Diop se voit refuser l’accès au territoire français, à l’automne 1969, de retour d’un séjour estival à Dakar, le contraignant à rebrousser chemin. Muni d’un solide bagage intellectuel, il obtient une position d’assistant de recherche à l’Institut fondamental d’Afrique noire (IFAN), rattaché à l’Université de Dakar, où il échange fréquemment avec l’historien et linguiste engagé Pathé Diagne. Mais c’est surtout en arpentant les rues des quartiers populaires de Dakar et fréquentant militants de la gauche clandestine (il participe pour un temps au Mouvement de la jeunesse marxiste-léniniste (MJML), d’obédience maoïste, à l’initiative de Landing Savané, avant d’en être exclu pour déviation de la ligne du parti), artistes (notamment Issa Samba dit Joe Ouakam et d’autres futurs membres fondateurs du collectif d’avant-garde Laboratoire Agit’Art) ainsi que jeunes issus de la classe ouvrière et du lumpenprolétariat, qu’il découvre les réalités socio-économiques de son pays.

Préférant savoir le jeune subversif en dehors du Sénégal en cette période de forte mobilisation estudiantine, le Président Senghor interpelle son homologue français Georges Pompidou, ami proche et ancien camarade de classe, et réussit à faire lever, en septembre 1970, la mesure d’interdiction du territoire français dont avait été frappé l’étudiant. La proximité entre les deux chefs d’États – Senghor accusé d’être à la solde de l’impérialisme français et Pompidou de poursuivre une politique prédatrice au sein du pré-carré africain de la France – marquera un tournant dans la trajectoire de Blondin Diop. En amont d’une visite officielle du Président Pompidou à Dakar en février 1971, des jeunes militants de gauche incendient une partie du centre culturel français et du Ministère des travaux publics. Le jour J, le groupe, composé de deux frères cadets d’Omar, tente d’attaquer le cortège présidentiel, mais est arrêté avant de pouvoir passer à l’action. Le verdict est sans appel : cinq ans de prison pour Mohamed, toujours mineur, et la perpétuité pour Dialo, qui a tout juste vingt ans.
Omar apprend la nouvelle depuis Paris.

Après plusieurs semaines de réflexion intense, la décision est prise : il va se former, avec des amis qui connaissent bien sa fratrie, à la lutte armée et préparer leur évasion de prison. Les jeunes révolutionnaires traversent ainsi l’Europe et se rendent dans un camp du Fatah en Syrie où ils s’entrainent au maniement des armes. Après deux mois dans l’aridité du désert syrien, le groupe se redirige vers Alger, lieu de convergence des mouvements de libération de l’époque, où le BPP avait ouvert un bureau international dirigé par Eldridge Cleaver, avec qui Blondin Diop avait été mis en relation grâce à des militants afro-américains à Paris. Invité à Brazzaville pour la fête du 1er mai, Cleaver rentre à Alger quelques jours plus tard et y accueille les jeunes Sénégalais. Mais il ne peut plus leur venir en aide : le BPP connaît à ce moment une grave crise interne, sous fond du procès des « New York 21 », qui aboutit à la rupture entre Huey Newton, resté aux Etats-Unis, et Cleaver, en exil. Dans l’impasse, Blondin Diop et son camarade Alioune Sall dit Paloma décident de se rapprocher du Sénégal et se redéployent vers la Guinée. Ils y sont refoulés mais trouvent, in extremis, un point d’appui à Bamako, où réside une partie de la famille d’Omar.

Sous couvert de recherches sur la philosophie Dogon, Blondin Diop et Paloma prévoient l’enlèvement de l’ambassadeur de France au Sénégal, Hubert Argod, qui deviendrait une monnaie d’échange pour la libération de leurs camarades incarcérés. Mais à la fin novembre 1971, en prévision de la première visite officielle du Président Senghor depuis l’éclatement de la Fédération du Mali en 1960, les autorités maliennes procèdent à une vaste campagne d’arrestations des exilés politiques sénégalais. Les deux militants, suivis de près par les services de renseignement maliens et connus du notoire directeur de la sûreté Tiékoro Bagayoko, sont alors appréhendés par la police.

Après trois mois d’isolement dans les cellules insalubres des commissariats de Bamako, le duo est extradé vers le Sénégal en février 1972, jugés le mois suivant par un Tribunal spécial qui les condamne à trois ans de prison ferme pour « atteinte à la sureté de l’État ».
Le 11 mai 1973, Omar Blondin Diop est déclaré mort. L’État du Sénégal le présente aussitôt comme un « drogué sevré déprimé » et sa mort comme un « suicide par pendaison », publiant, pour soutenir sa thèse, le Livre blanc sur le suicide d’Oumar Blondin Diop. La nouvelle provoque des émeutes qui embrasent la capitale sénégalaise pendant plusieurs jours. Craignant le pire, les autorités organisent, à l’initiative du tout-puissant ministre de l’Intérieur Jean Collin, une inhumation expéditive du corps en la seule présence du frère cadet d’Omar, Ousmane, et de son père, par ailleurs condamné – le seul dans cette affaire – à verser un franc symbolique pour « propagation de fausses nouvelles ». Médecin, Ibrahima Blondin Diop avait en effet réalisé un rapport de contre-autopsie qui fit état de coups infligés au niveau de la nuque, élément central dans la plainte qu’il déposa pour homicide involontaire.
Chargé de l’affaire, le doyen des juges d’instruction du tribunal de grande instance de Dakar, Moustapha Touré, consulte alors la main courante de la prison (registre détaillant les entrées et sorties du bâtiment), qui révèle qu’Omar aurait perdu connaissance plusieurs jours avant l’annonce de sa mort.

Plus loin, le document indique que l’infirmier résident de l’île de Gorée fut appelé en aide, et, après une tentative de réanimation vaine, ordonna l’évacuation immédiate du détenu au pavillon spécial de l’hôpital Le Dantec à Dakar. Mais par peur des soupçons que soulèverait l’acheminement du corps inerte vers la chaloupe, le gardien chef de la prison refusa. Face aux nombreux éléments accablants, le juge Touré procède à l’inculpation de deux des trois gardes pénitentiaires de la prison. Avant d’avoir le temps de procéder à l’arrestation du dernier garde suspect, il est dessaisi de l’affaire et remplacé par le juge Elias Dosseh, qui met fin aux poursuites judiciaires un an et demi plus tard en délivrant une « ordonnance d’incompétence ».

Bien que la mort d’Omar Blondin Diop demeure un trou du récit historique officiel (il a tout de même durablement écorné l’image du poète-président Senghor, provoquant même la rupture de ses relations avec Aimé Césaire pendant quelques années), sa famille demande jusqu’à présent que justice soit rendue. Du poème Degluleen mbokk yi(1975) d’El Hadji Momar Sambe au long-métrage Juste un Mouvement (2021) de Vincent Meessen, en passant par le roman Le temps de Tamango de Boubacar Boris Diop (1981), Blondin Diop est par ailleurs devenu un symbole de résistance largement remobilisé aussi bien dans des œuvres d’art que par des mouvements politiques héritiers de la gauche sénégalaise anti-impérialiste des années 1968, à l’image du Front pour une révolution anti-impérialiste populaire et panafricaine (Frapp).