La suppression du poste de premier ministre a été votée par les parlementaires et promulguée hier, mardi 14 mai, par le chef de l’État. Macky Sall a bien surpris son monde avec cette innovation. De la genèse de la décision à son adoption, il n’y a quasiment pas eu de résistance politique, de contestation majeure. L’opinion publique a été mise devant le fait accompli. Devant la longue expectative qui a suivi son élection, l’interminable période de flottement et d’incertitudes politiciennes, le président a sorti de sa botte secrète cette idée, pas tellement neuve, mais dont le sens peut se prêter à plusieurs lectures. L’idée d’écarter un potentiel dauphin gênant, comme l’ont avancé certains analystes, en réaffirmant l’ascendance du président sur le chef du gouvernement et en dissuadant la querelle de la succession, paraît une hypothèse sans souffle : Boun Dionne n’a, en effet, jamais montré des velléités d’ambition personnelle. Son profil introverti a d’ailleurs été décisif dans le choix porté sur lui au début du premier mandat. Un moine, appliqué et discipliné, en retrait, dur à la tâche, bosseur. Il est bien probable que le président réélu, au bord du plébiscite, ait tenté là un coup politique, pour donner une épaisseur historique à sa sortie et asseoir un pouvoir plus large dans les institutions internes du parti et celles nationales. Cette hypothèse serait – prudemment – la mienne. Elle n’est pas prédictive, seul l’avenir dira si malfaçon, abus, déséquilibre démocratique au-delà du seuil déjà éprouvé, viendront accabler cette idée. L’analyse doit bien souffrir de patience et soutenir les enseignements du temps long. Noter quand même ceci : le présidentialisme n’avait pas besoin d’être dopé par plus de concentration de pouvoirs.
Eloge du fusible dévoué
Le plus cocasse dans l’affaire, c’est qu’on a vu l’ancien – et dernier – premier ministre, Boun Abdallah Dionne, à la manœuvre. Tout occupé, dans un zèle qui n’a pas manqué de faire sourire, à destituer ce qui fut le sens de toute sa mission politique. Locataire de l’autre maison blanche de la capitale, il s’est attelé minutieusement à démembrer la fonction, à la débarrasser, dans une vidange politique dont il était la pièce superflue. Dévoué jusqu’au reniement, il a transformé la servitude en une forme de vertu d’allégeance politique. Toutes ses sorties, depuis l’annonce de sa fin prochaine, ont alterné entre le ton monacal et le beau sacrifice. Boun Dionne n’aura pas tellement eu à puiser dans un autre registre, c’est une rupture dans la continuité comme il s’en fait tellement actuellement. Il s’est effacé, comme s’il n’avait d’ailleurs jamais existé, s’échinant à une discrétion que ses admirateurs trouveront admirable et que ses détracteurs penseront soumise.
De tous les talents de Macky Sall, et le bonhomme en a quelques-uns dans l’habileté politique, surtout en crimes politiques propres, celui de réduire ses collaborateurs à de petits tacherons, est le plus saisissant. Il sait séduire par le charme et la terreur, le miel et l’acide. Toute sa cour a cette déférence que le monisme absolutiste du pouvoir de façon plus générale rend plus comique. La relation, à l’intérieur même des partis, entre le boss et les autres, est verticale, et les discussions plus heurtées se font à la périphérie, aux risques et périls des téméraires. La politique puise ainsi, très simplement, dans le corpus des valeurs nationales, où l’autorité est respectée et les populations admettent les abus, du moment que c’est la contrepartie pour être promu.
Des belles prédispositions réduites à néant
Il serait assez intéressant de savoir, plus en détail, dans un long entretien, ce que Boun Dionne pensait de la pratique politique dans ses jeunes années. Quels rêves peuplaient la tête de ce jeune ingénieur, formé en France, cadre chez IBM, discret et prometteur, qui a connu bien des épreuves familiales dont il est sorti précocement mature, avec un sens de la responsabilité vite acquis. Qu’est-ce qui fait ce visage pudique, presque fuyant, de soldat de l’ombre qui fuit les lumières, comme ennemies du secret du pouvoir ? On aurait bien aimé le savoir. Un article du quotidien Libération, de 2014, donne à voir cette facette du personnage en compilant savamment des anecdotes sur l’homme et son réseau.
Le gamin de Gossas, y découvre-t-on, est adroit, tisse sa toile, un réseau amical et professionnel, où il puise soutien, énergie et compagnonnage. C’est du reste presque de cette manière que se fait sa rencontre avec Macky Sall bien avant la montée en flèche de l’ancien maire de Fatick. Ce qui semble sûr, c’est que l’ancien premier ministre a eu un parcours brillant et partage avec Issa Sall, sinon cet esprit de matheux appliqué, à tout le moins, le goût des ascensions sans bruit, le sens du devoir, et du service de l’Etat. Le parallèle va plus loin : ils ont en commun leur domaine de prédilection, l’informatique, et beaucoup de cours dispensés dans de grands organismes sous-régionaux ou mondiaux. Faux jumeaux d’un désir d’inviter l’efficacité professionnelle au cœur de la politique, l’apriori leur était favorable.
Toutefois, de l’intention à l’exécution, il y bien du chemin, de la contradiction, voire de la trahison. Boun Dionne a donné des gages personnels ; mais pas des gages politiques. Il inspirait confiance ; sa politique moins. La gestion sobre et vertueuse ne fut que sobre, et encore. Pour la vertu, il faut repasser. Malgré tous les succès électoraux du pouvoir, nul ne peut prétendre que la manière de gouverner, de faire de la politique, a connu un tournant bénéfique. Elle est restée, sinon la même, toujours enlisée, dans un immobilisme. Boun Dionne ne naît pas, du reste, de rien. Il suit une belle tradition au Sénégal, encore plus en vigueur depuis les ajustements structurels, avec l’injonction plus ou moins appuyée, des bailleurs de fonds, pour plus de technicité au cœur du pouvoir comme garantie d’un redressement par des méthodes rigides et austères.
Technocrate-sauveur, la légende à la peau dure
Le grand mythe du « technocrate » apolitique au chevet de la politique clientéliste, appliqué à déverser son savoir pour sauver un pays, a eu la peau dure. Il a fait fantasmer. Il a toujours entretenu l’espoir de quelques-uns qui tiennent la politique en horreur et qui voient en ces fonctionnaires froids, le bon équilibre. Seulement, on a trop misé sur les technocrates. Beaucoup plus que ce que peuvent supporter leurs frêles épaules. Un mythe est même resté lié à ces sauveurs annoncés : un costume et un attaché-case faits homme. Sans allure ni audace. Ecrasé par le arbitrages politiques. Leurs apports ont de tout de temps été surévalués, et pas qu’au Sénégal. La politique implique une fine connaissance de la société. Pas des seuls chiffres. La connaissance technique d’un sujet ne fait pas un chef d’orchestre performant. D’autres qualités sont requises, et elles s’obtiennent à l’épreuve et à l’expérience. Le technocrate, c’est presque un valet chic. Mais un valet quand même, qui reste le faire-valoir dans les couples exécutifs, et le fusible pour tenter de nouvelles idées, ou réhabiliter les anciennes.
Si l’on opère une petite chronologie dans l’histoire des locataires de la primature au Sénégal depuis 50 ans, on constate simplement que le technocrate est une figure de l’échec. Comme le reste par ailleurs. Les commentaires, presque dans le genre du marronnier journalistique, ont des adjectifs préconçus pour parler d’eux : discret, travailleur, efficace. On le dit de Mamadou L. Loum à l’actuel Mohamed Dionne, en passant par Abdoul Mbaye, Hadjibou Soumaré… Tous défenestrés plus tard, presque par évidence, les technocrates n’auront pas changé la politique, ni ébauché de grandes réformes. Ils auront été les esclaves les plus polis de leurs supérieurs. Quand on ne s’en sert plus, on jette et on remplace. C’est comme un simulacre de mise en terre de cette idée fétiche de suppression de la primature à laquelle on assiste. Le PSE, qui tient lieu de projet au pouvoir, regorge dans l’architecture de ses acteurs, de nombre de profils similaires à Boun Dionne. De beaux esprits, bien formés, rien qui dépasse, formatés pour l’usure de la technicité, et qui s’exemptent par paresse ou prétention, de détenir des bagages idéologiques qui restent l’inamovible mobilier politique qui forge les hommes d’Etat, avec la lecture, les grandes idées, et le tragique de l’Histoire.
Un épiphénomène
La longévité de Boun Dionne a la tête du gouvernement avait donné comme des gages d’une forme de stabilité au sommet du pouvoir. Le tandem entre le roi et son dunguru était au beau fixe. Sa mort, ou dira-t-on en terme plus bienveillant, sa reconversion, même couverte des atours de la dévotion étatique, est le plus éclatant symbole d’un aveu d’échec d’un pouvoir qui se dénonce et coupe sa graisse. S’il prend des envies de liposuccion au pouvoir, il y a bien des agences et privilèges, nombreux, qui peuvent alléger la charge de l’Etat. Il faut savoir lire les signes. Les problèmes du Sénégal sont beaucoup plus grands que les liftings institutionnels par caprice ou cynisme politique. C’est une prime à la casse. Une prime à la caste aussi. Toilettages des seuls sièges avant de la locomotive nationale où s’entassent des populations sans vue sur le cap et la route.
Elgas
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