L’ET DIT TÔT D’O.N.G – ‘‘Ils’’ ont donc tué bébé Fallou, ces ravisseurs sans visage. Toute la rédaction de Tract s’associe à la douleur des parents, des proches et des simples citoyens outragés par cet acte barbare et présente ses condoléances émues. Nous nous joignons à l’union de prières pour le repos éternel de l’âme de l’innocente victime. Repos éternel dont nous ne doutons pas, dans le sanctuaire de notre foi.
A l’approche de la prochaine élection présidentielle, on ne peut s’empêcher de penser que ce qui est d’évidence un sacrifice humain, ait éventuellement eu lieu pour s’attirer la grâce d’obtenir le pouvoir suprême. The highest position in the land. Ou encore celle de devenir riche sans effort et sans travail, par l’opération d’un esprit qui nous ceint, d’un dessein fait d’esprits.
Mais revenons à l’élection prochaine comme cause. Dès qu’approche une joute électorale décisive, le Sénégalais de la rue est enclin à soupçonner les politiciens avides de maintenir ou d’obtenir le pouvoir politiques, d’être prompts à recourir au sacrifice humain. Là commence le problème. Qu’avons-nous fait collectivement ou mérité pour que l’on pense que le pouvoir politique ne s’obtient pas au terme d’une joute loyale, programme contre programme, charisme contre manque de charisme ? Mais plutôt du fait de la seule volonté divine, donc par origine surnaturelle ? Surnaturelle ? Puisque Dieu l’est, on a alors vite fait de lui associer d’autres esprits touts aussi surnaturels, qui n’ont rien à voir avec l’être suprême des religions révélées. Djinns, xeureums et autres deums.
Oui, là commence le problème. Sacrifier Fallou pour le ‘Fal’ ? Tous les Sénégalais qui croient que l’élection d’un homme (ou d’une femme, pourquoi pas ?) n’est pas le résultat du libre-arbitre individuel agrégé collectivement des citoyens, est coupable de complicité du crime de bébé Fallou. Tous les Sénégalais qui croient qu’il faut recourir aux xondjoms pour s’assurer la protection du Ciel, protectorat auquel Dieu lui-même ne suffit pas, sont coupables de complicité du meurtre de bébé Serigne Fallou Diop. On donne l’aumône aux talibés dans la rue, non pas pour les sortir de leur misérable condition, ce qu’à Dieu ne plaise, Lui qui les y a mis, mais pour se protéger soi-même et s’attirer de bonnes fortunes. On s’enduit de force libations devant tout examen scolaire ou avant tout entretien d’embauche. On est certains que la richesse n’est pas le résultat du travail mais de l’entregent appuyé de débrouillardise mâtiné d’amulettes. La pensée magique a pris le pouvoir.
Un esprit dont tout le monde s’accorde à penser qu’il est plus libre que la moyenne des citoyens sénégalais, je veux citer Higlander Abdoulaye Wade, n’a pas hésité à accuser son ex obligé, l’ancien maire de Dakar Pape Diop, de sacrifices d’albinos. Le même Mame Laye Wade a soutenu sans sourire, ni sourciller que Son Excédence qui préside le Sénégal était non pas un humain, mais un ‘ deumm’’. Et récemment, ce dernier, Macky Sall, a demandé à ceux qui savent faire ‘‘autre chose que que réciter la Fatiha ou le Notre Père’’, comprenez les féticheurs et animistes, qu’ils fassent tout ce qu’il était en leur pouvoir pour que les Lions de l’atterrant gars nous ramènent la coupe du monde de football au Sénégal, en juillet prochain. L’exemple vient donc d’en haut.
Quand on rêve seul d’une chose, cela reste un rêve ; et même un délire. Mais quand on rêve à plusieurs d’une chose, cela devient la réalité. Et c’est ainsi que les pratiques mystiques comme moyen d’accession à la détention du pouvoir politique sont devenues une réalité dont beaucoup dont convaincus de l’intangibilité. L’État sénégalais est, lui aussi, coupable de complicité du meurtre rituel de bébé Fallou : en refusant par exemple d’assumer seule la supervision régalienne et républicaine des élections, et en s’adjoignant les gris-gris ONEL et autres CENA pour le faire et satisfaire la schizophrénie collective des Sénégalais, cet Etat du Sénégal contribue à faire accroire que les élections ne sont pas un processus rationnel. Mais bien une matière évanescente et ésotérique qu’ils convient de faire contrôler par d’autres, supposés n’avoir aucun intérêt partisan. On peut être partisan et républicain. E c’est ce qu’on aurait été en droit d’attendre des politiciens qui sont aux responsabilités politiques que nous leur avons confié. Or, ce n’est pas le cas. Et c’est bien regrettable.
Cela me conduit à revenir à la récente affaire du professeur Songué Diouf, qui a voulu nous prendre pour des poires. On a vite fait de dire que c’était « la faute à la société ». Non, ce n’est pas la faute à la société. La société ne pense pas, ne parle pas, n’agit pas. Ce sont des individus qui le font. Mettre ‘la société ’ au ban des accusés, c’est poursuivre une entité qui n’existe que symboliquement. C’est encore être dans « la pensée magique ». C’est exonérer les individus et leur responsabilité personnelle. Trop de délinquants encore dans ce pays, quand ils sont attrapés, attribuent à Sheytan la responsabilité de leurs crimes. Et si le juge les condamne, l’opinion publique leur accorde le bénéficie du doute, à cette invocation de Satan comme responsable de leurs actes, qui en aurait fait des marionnettes. Là encore, la responsabilité de l’État, qui a la gestion de nos destins en charge, est convoquée. C’est par l’éducation aux valeurs universelles, l’instruction pour la connaissance des faits et non des mythes, et la promotion d’une société ouverte à la culture qui ne soit pas folklore mais création qui suscite cette « sortie hors de soi » qui fait de nous un individu à part parmi des milliards d’être humain, une personne qui vit et non qui se contente d’exister, c’est par là donc que l’État aura rempli sa mission de promotion du progrès.
Et pour reprendre la fameuse boutade : « l’État, c’est nous ».
Dans cette tragique affaire qu’est le meurtre d’un bébé de 30 mois, ne passons pas par pertes et profits la responsabilité individuelle. Celle du ou des meurtriers, bien sûr . Mais aussi celle de chacun d’entre nous, aussi.
Post-scriptum : Le collectif pour la Protection de l’Enfance marchera à nouveau à Dakar ce samedi 24 mars. Espérons que cela soit pour rappeler l’État à ses responsabilités face aux ignobles rapts d’enfants et aux crapuleux crimes d’enfants. Et non pas pour exiger le retour de la loi du Talion. Oui, que cela soit rappelé à ceux et celles qui, aveuglés par la haine et la douleur, réclament le retour illico de la peine de mort pour les bourreaux de bébé Fallou : l’apologie de la peine de mort n’est pas une opinion, et encore moins une opinion acceptable. C’est un délit, au regard de la loi suprême de ce pays qu’est la Constitution, qui l’interdit et la bannit. Les meurtriers devraient, non pas être occis en place publique, mais soignés. Et pas par un ndeupp.
Ousseynou Nar Gueye
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