Dans le sud du Sénégal, les opérations de déminage de la Casamance ont repris depuis le 27 février 2019. Tout s’est arrêté après l’enlèvement de cinq démineurs mardi 14 mai. La perspective d’une reprise des activités reste incertaine. Les équipes doivent également faire face aux réticences d’une partie des habitants sur le terrain.
Ce mardi 14 mai, les démineurs prennent leur service comme chaque matin. Ils se sont levés tôt : autour de cinq heures du matin, afin d’éviter les fortes chaleurs. Tous sont salariés de l’ONG Humanité et Inclusion, le nouveau nom de Handicap International, opérateur historique en Casamance. L’équipe se dirige vers la zone à déminer, entre Bafata et Bindaba. Dans cette forêt, dense et peu habitée, il s’agit de dépolluer l’intégralité d’une ancienne piste qui reliait les deux villages.
Après le traditionnel « briefing » de sécurité au camp de base, les hommes et les femmes en bleu empruntent le début de la piste jusqu’aux terrains à déminer. A l’avant, au front, les démineurs démarrent la machine qui leur permet de retourner la terre, afin de trouver d’éventuelles mines, posées des années plus tôt aussi bien par l’armée sénégalaise que par les membres des branches armées du MFDC, le mouvement – indépendantiste – des forces démocratiques de la Casamance. Une partie de l’équipe, comme le veut la procédure, reste à l’arrière de la zone avec l’infirmière de l’ONG, présente comme chaque jour pour remédier à un éventuel accident grave.
Le précédent 2013
Deux hommes étrangers aux opérations de déminage sortent alors du bois. « Ils étaient armés », raconte un des démineurs présent ce jour-là. « Les deux ont demandé les téléphones portables et certains effets personnels des salariés. La moto d’urgence a également été volée, sans violence ». Cinq démineurs sont enlevés, réquisitionnés par le duo dans le but de porter le butin. Ils sont emmenés à la frontière entre le Sénégal et la Guinée-Bissau, puis rapidement relâchés. Un événement qui rappelle de mauvais souvenirs aux équipes, avec l’incident de 2013, survenu lui aussi sur un terrain présumé miné. Les otages avaient été libérés au bout de 79 jours. Ce mardi 14 mai encore, il s’agit bien d’un acte mené par une des branches du MFDC, d’après les informations de RFI. Le centre national d’action antimines (Cnams) décide dans la journée de suspendre les opérations jusqu’à nouvel ordre. « Il va falloir mener des investigations, et se parler afin d’avoir la certitude que toutes les parties sont d’accord pour reprendre le déminage. Il en va de la sécurité des équipes », souligne Bahram Thiam, le directeur du Cnams.
« Dialogue communautaire » : quand les opérations dépendent du processus de paix
Sur le terrain, il arrive que le déminage se heurte aux réticences des habitants. « Certains villages refusent d’être déminés. C’est un fait mais ce n’est jamais dit clairement », explique un des proches du dossier. « Parfois, c’est une affiche, une inscription qu’il faut décoder. Un simple papier laissé sur les zones à traiter », évoque Bahram Thiam. « Il faut faire très attention à ces indications, elles nous obligent à ne pas procéder à la dépollution du sol. Elles indiquent la présence de groupes armés ou de villageois hostiles au déminage », poursuit le directeur.
« Pourtant, nos opérations n’ont rien de militaire, elles sont humanitaires », dénonce Faly Keïta, coordonnateur régional chargé de superviser les travaux d’Humanité et Inclusion. De l’avancée des chantiers de déminage, dépend en grande partie le processus de paix.
Certains villages comme Singuère Joola pourraient être rendus sûrs et accessibles, ils ne le seront pas en raison de la proximité avec des zones contrôlées par les rebelles, d’après un des artisans du « dialogue communautaire » que doivent mettre en place les opérateurs afin de convaincre les habitants réticents. Certaines forces ont enfin beaucoup d’influence auprès des chefs de village, qui donnent leur feu vert aux ONG pour déminer ou pas. À Singuère, jamais les habitants n’ont explicitement donné leur accord. « En l’état, nous attendrons donc avant de nous y rendre. Nous avons besoin d’une demande de la part des villageois », souligne Faly Keïta.
L’enlèvement du 14 mai a freiné les opérations. « Mais le déminage devrait bientôt reprendre », assure Bahram Thiam. Pour l’instant aucune mesure des autorités visant à garantir la sécurité des démineurs n’a été prise.
■ Le déminage souffre surtout du manque de moyens financiers
Où sont les bailleurs de fonds et les financements ? Lors d’une réunion en octobre 2018, nombre de bailleurs avaient promis de s’engager pour le déminage. Tous attendent le déblocage de l’enveloppe de l’État sénégalais, qui a promis plus d’un milliard de franc CFA pour les opérations, soit près de deux millions d’euros. Pour l’instant le déminage dépend uniquement des fonds du département d’Etat américain. Un financement limité : si rien n’est fait, l’intégralité des démineurs se retrouvera au chômage technique dès le mois de juillet.