L’enseignement est-il encore un noble métier en France ? Au regard de les problèmes constatés ces dernières années, il y a des raisons d’en douter. S’il y’a une vocation qui n’est plus du tout attractive aujourd’hui, c’est bien le métier de professeur. Philipe Meirieu va plus loin et se demande si « l’Éducation peut être encore au cœur d’un projet de société ».
De ma courte expérience professionnelle à l’académie de Créteil où j’exerce depuis bientôt six ans, j’ai vu le métier se dégrader. Et rien ne semble fait pour enrayer la déperdition.
Je pourrais résumer mon expérience en plusieurs points. J’ai d’abord remarqué une lassitude chez beaucoup de mes collègues, une fatigue morale et psychologique. Ils sont aussi affaiblis par le manque de moyens et surtout d’autorité face aux élèves. Ces difficultés se manifestent par la gestion d’élèves de plus en plus violents verbalement voire physiquement. Des éléments d’abord marginaux qui finissent par contaminer toute la classe.
La transmission de connaissances devient ainsi une atmosphère de défiance et est reléguée à des problématiques d’ordre, de discipline et de de gestion de conflits.
Affecté dans les zones sensibles, j’ai pu noter qu’une bonne part des jeunes de banlieues ont du mal à s’accommoder avec l’école. Un ressort s’est cassé dans la relation. Il y a dès lors un rapport faussé qui transforme les personnels en témoins impuissants face aux actes d’incivilités et à la rébellion des élèves.
Si des études ont pu montrer que les conditions sociales et économiques, la relégation, ont joué un rôle dans cette désaffection pour l’école qu’expriment les jeunes, il est aussi à noter que d’autres problèmes dont le respect de la hiérarchie sont une composante majeure du problème.
Le témoignage des collègues est à ce titre éloquent. Il résume le malaise qui gagne le corps professoral. Plusieurs fois, ai-je entendu, les confidences de mes collègues, confiant qu’ils souhaiteraient changer de métier ou se reconvertir. Ceci est d’autant plus préoccupant, que pour beaucoup, le choix de cette profession était essentiellement motivé par la passion.
On mesure ainsi, très mal, la souffrance au travail des enseignants, en première ligne, souvent agressés et dont la patience et la pédagogie, héroïques, ne semblent guère suffisantes.
Mais plus encore, les enseignants souffrent beaucoup du fait que leur métier semble de plus en plus dévalorisé et déclassé. Il n’est plus protégé comme il se doit. Le débat a toujours eu lieu sur cette perception. Sentiment ou réalité? On pourrait s’accorder pour constater que les conditions de travail ne sont plus du tout motivantes et l’absence de perspectives de carrière encourageantes, contribue au sentiment de résignation qui monte.
A échelle personnelle, j’ai essayé de comprendre les raisons de cette violence contre l’école à travers ses valeurs fondamentales remises en cause, l’autorité bafouée, la discipline souvent piétinée. Si le fait n’englobe pas tous les élèves, il frappe assez d’élèves pour rendre les cours épuisants moralement, et parfois risqués pour l’intégrité des professeurs.
Il faudra assurément ouvrir des concertations de grande ampleur pour situer, les responsabilités, toutes les responsabilités : celles qui sont partagées entre l’Institution, les Familles et les Elèves. Il s’agit d’aller au-delà du constat sans procès d’intention, et d’évaluer la part fautive qui revient l’État dont les différentes réformes semblent inefficaces. Il s’agit également d’interpeller les parents qui ont de plus en plus de mal à assurer l’éducation de leurs enfants.
La tenue d’un dialogue franc et sans concession sur tous les tabous de l’école s’avère nécessaire face à l’urgente de la situation.
Ayant la chance d’avoir une double culture sénégalaise et française, je suis familier de certaines traditions que peuvent partager certains élèves de banlieues, notamment ceux issus de l’immigration. Certains parents déboussolés, n’arrivent plus à gérer leurs enfants. Ce qui tend à aggraver la situation car les enfants perdent les repères essentiels à leur formation. Et ce sont les enseignants qui doivent palier à ce déficit, sans être suffisamment armés.
Se greffent à ces problèmes, l’attitude parfois insouciante, et perturbatrice d’élèves, qui sont dans la totale défiance, avec un environnement, hors de l’école, qui favorise cette gangrène. J’en veux pour preuve une anecdote récente : lors d’une réunion, parents d’élèves / enseignants, j’ai dit à un de mes collègues proviseur, que la notion d’autorité a été mal ajustée et mise à mal par beaucoup de renonciation. En effet, en donnant des droits incontrôlés aux élèves, on est tombé dans le piège qui fait que les enseignants n’ont plus aucune autorité et les élèves ne manquent pas d’en abuser.
Par ailleurs, l’institution est exigeante avec les enseignants et trop complaisante avec les élèves. En centralisant les reproches sur les enseignants, l’Etat faillit à situer toutes les responsabilités et alourdit la barque des professeurs, déjà débordés. Cela va parfois jusqu’à s’incarner à une mise à l’index des enseignants, pointés du doigts et accusés pour tous les problèmes.
Quand les collègues craquent, il leur est souvent reproché d’office, de ne pas savoir « gérer leurs classes ». Quand ils excluent de leurs cours des éléments perturbateurs, la hiérarchie leur reproche leur déficit de mansuétude, ainsi de suite. Les conséquences logiques, et on le perçoit, ce sont plusieurs cas de souffrances au travail qui se manifestent par des signes de stress permanents, de découragement, de burn-out, d’usage excessif de tabacs, d’antidépresseurs voire de stupéfiants. Les collègues affectés par ce mal-être restent isolés, rasent les murs et leur passion s’éteint à petit feu.
Même si de façade, ils semblent donner un visage avenant et correcte, bon nombre d’entre-eux refuse simplement de communiquer par peur d’être stigmatiser ou d’être considérés comme incompétents. Cette comédie pour faire bonne figure, est insupportable à la longue.
Il est temps d’écouter le mal être des professeurs et de proposer des solutions concrètes. J’ai en mémoire le mot d’un collègue à mes tout débuts dans le métier, qui pour me prévenir, m’avait dit : « Si j’ai un conseil à te donner, c’est de faire l’hypocrite comme tout le monde ».
L’éducation nationale en France de nos jours tend à prendre ce visage affreux du fatalisme! Une frange de nos collègues, surtout, contractuels, est laissée pour compte. Toutefois, malgré les difficultés, beaucoup de d’enseignants se battent pour améliorer leurs conditions et activités de travail. La plupart des collègues ne demandent que du soutien et n’abdiquent pas leur rôle et leur mission. Il est temps de redonner au métier son éclat et sa valeur. C’est notre beau sacerdoce et notre espoir. Nous espérons que l’éducation nationale l’entendra et prendra toutes les mesures nécessaires. C’est une recommandation que formule mon collègue Momar-Sokhna Diop qui avec une forte dose d’optimisme affirme « qu’enseigner dans les zones classées difficiles est une mission possible » à condition que l’État, les collectivités locales, les familles, les élèves et bien sûr les enseignants prennent chacun leurs responsabilités. Il s’agit, en priorité pour l’État, de préparer en amont les collègues avant de les affecter en premier poste sur dans les Réseaux d’éducation prioritaires (REP). En effet, comme le disent si bien Jacqueline Rimet-Meille et Colette Paillote, « enseigner est une profession à cultiver ». Le métier ne s’improvise pas. Il se construit en amont et tout au long de la vie grâce à la formation continue.
Bassirou Sakho, professeur indigné
1) Philippe Meirieu et Pierre Frackowiak, L’éducation peut-elle être au cœur d’un projet de société ?, L’Aube, 2009.
2) Momar-Sokhna Diop, Enseigner en banlieue, une mission possible, Chronique sociale, 2015.
3) Jacqueline Rimet-Meille et Colette Paillote, Enseigner, une profession à cultiver, Chronique sociale, 2009.