«À chaque fois que vous entrez dans une ville, ce sont les ordures qui vous accueillent, et quand vous en sortez, ce sont aussi les ordures qui vous accompagnent», se désolait tristement une européenne résidant au Sénégal. Voilà qui en dit long sur l’image de déliquescence à tous les niveaux dans notre cher Sénégal. Le Grand Bazar, pour dire tout !
Nous vivons, on s’en doute, le grand ennui. Pour tenter l’explication, c’est comme qui dirait une scène de théâtre devant de petits enfants, sur laquelle les comédiens sont tout d’un coup pris de délires et de folie sans qu’on ne sache comment les calmer. Voilà schématisé l’hideux visage d’un Sénégal qui a bafoué la noblesse héritée de Senghor, Me Lamine Guèye, Valdiodio Ndiaye, et de l’élégance chez Abdou Diouf, Mantoulaye Diène, Serigne Lamine Diop longtemps chantés par le maître du xalam Amadou Ndiaye Samb.
Mais aujourd’hui, tout est si proche et gratuit – même l’insulte du gouvernant – que le bazar semble «de la m… dans un bas de soie», pour reprendre avec bruit le mot de l’autre. Il est rare de vivre des moments de quiétude politique et sociale, tellement l’opportuniste politicien, le fast-foodien journaliste semblent partager les codes linguistiques du donnant-donnant ou gagnant-gagnant, c’est selon. Sans oublier la clameur des médias qui disent tout et rien, et surtout quand ce n’est pas permis, au point d’enfanter des héros chez le peuple des criminels et autres «bandits de grand chemin» au Getzner bien amidonné ou cravate bien attachée qui nous pompent nos sous tout en faisant le sermon de la virginité du casier judiciaire.
Sur un autre registre, le désordre est comme une vague qui inonde tout notre environnement ; des ordures à chaque coin de rue, des commerces à chaque mètre carré (heureusement que le cleaning-day est apparu), des gares routières improvisées à chaque carrefour où la pisse importune le client. Le comble, c’est que personne ne dit rien. Ou pour être plus précis, aucune autorité ne prend ses responsabilités. Et comment une société peut-elle se comporter de cette manière comme si elle n’a pas sens de l’application des lois et du respect des normes ?
Et la justice ? On n’en est que douteux de cette sorte de dinosaure aux jambes de coton. Plus on s’en rapproche, plus on a le sentiment qu’elle nous fait plus peur qu’elle ne nous rassure, tant elle semble plus amoureuse des riches et des forts que des pauvres.
C’est à se demander si les citoyens honnêtes ne devraient pas porter plainte contre elle. Et à l’heure où la fièvre du compteur électrique grimpe, jetant les goorgorlus râleurs à la rue, l’hypocrisie des assos des consommateurs ne permet pas l’espoir; elles sont plus enclines à gesticuler quand il s’agit de sauver l’huile de notre cebu jën national que de se soucier de la santé des Sénégalais face au massacre venant des brouillons qui inondent le marché. Le cimetière tracé par ces produits, elles ne veulent pas y jeter un œil.
Pendant ce temps, on a cru «entendre grincer les persiennes» chez de prétendus chanteurs s’acoquinant d’animateurs douteux, verbeux jusqu’aux chaussettes, qui nous pompent l’air tout comme ces émissions insipides dans lesquelles des gens supposés sérieux étalent toute leur inélégance.
Ce qui fait le plus mal, c’est l’absence d’intellos – au sens plein du mot – comme on en voyait durant la parenthèse 1960-90, pour tenir un débat des plus académiques et prenants. Autant dire, c’est l’air du grand affaissement et de la crétinisation à outrance. Sans oublier que le mensonge et la roublardise suintent dans chaque projet (de développement) coincé dans les cartables ou reposant sur le bureau de talents défenestrés, recyclés en consultants.
Et de la liberté du citoyen, que reste-t-il ? Elle se rétrécit comme peau de chagrin dans un pays où ceux chargés de faire respecter la loi ont besoin de rééducation. L’abus de pouvoir a toujours été un problème non résolu chez nous. Que dire des prêcheurs ? (Nous n’avions pas le droit de les oublier) Certains d’entre eux se plaisent à confondre cette liberté issue de nos structures sociales séculaires, quand ils ne nous font pas du chantage moral. Comme nous, ils ont aussi leurs défauts.
Mon époque m’ennuie !
Par Bassirou NIANG
* »Gouvernement », « société » et « république » bananière