SENtract – Il est la première personnalité médiatique – et la seule à ce jour – à avoir fait son coming out en direct à la télévision ghanéenne. Expatrié en France, puis aux États-Unis, Ignatius Annor espère voir son exemple inspirer le Ghana, où l’homosexualité est encore illégale, alors qu’un projet de loi criminalisant la défense des droits LGBT est en discussion au Parlement.
« Pour la toute première fois, j’annonce que non seulement je suis un activiste pour les droits des minorités sexuelles en Afrique, mais je suis moi-même gay. » Quand Ignatius Annor prononce ces mots en direct sur la chaîne de télévision ghanéenne Joy News, le 22 février 2021, il sait qu’il s’apprête à provoquer un cataclysme médiatique. Le journaliste ghanéen, qui travaille en France pour Euronews, a déjà été par le passé la cible d’une campagne de diffamation homophobe. Il avait alors choisi de nier publiquement son orientation sexuelle, pour ne pas risquer sa carrière.
Discriminations homophobes
Des craintes fondées sur un épisode douloureux. En 2011, Ignatius Annor manque abandonner un début de carrière prometteur à Radio Gold, où il est entré comme stagiaire en 2008. « Le directeur de la station m’a appelé pour me dire que ma voix lui plaisait, et pour me proposer de passer titulaire, raconte-t-il au téléphone depuis Washington où il vit aujourd’hui, les 6 000 kilomètres de distance ne parvenant pas à masquer l’émotion dans sa voix. J’ai accepté immédiatement ! Ça a toujours été mon rêve d’être journaliste, et Radio Gold était l’une des radios les plus populaires au Ghana. »
Quelques semaines plus tard, l’un des producteurs l’appelle à son tour, visiblement embarrassé. « Il m’a dit qu’il y avait un problème avec ma voix, qu’elle ne concordait pas avec mon nom. Des auditeurs appelaient la radio en disant : “C’est étrange, il s’appelle Ignatius et pourtant, il parle de manière féminine. C’est un homme ou une femme ?” Le propriétaire de la radio était mal à l’aise avec cette ambiguïté. Alors il a décidé de m’évincer. » La direction prive Ignatius de sa voix et l’envoie au placard, au département commercial. Il pose sa démission et tombe en dépression.
« Ce n’était pas la première fois que ça m’arrivait, se souvient-il aujourd’hui. Pendant toutes les années que j’ai passées au Ghana, mon genre et ma sexualité étaient constamment remis en question. J’ai eu une enfance très solitaire. » Il existe en twi, la langue locale majoritaire au Ghana, un terme péjoratif pour moquer les hommes perçus comme efféminés : « Kodjo-Besia », que l’on pourrait traduire par « garçon-fille ». « On me jetait sans cesse ce mot, Kodjo-Besia, au visage. Où que j’aille, les gens me pointaient du doigt, riaient de moi. Alors pour m’intégrer, je me suis efforcé de changer mon apparence et mon comportement, d’avoir l’air viril. Je voulais être accepté, faire partie du groupe. » Pour « chasser l’homosexualité de son corps », l’adolescent se rend souvent à l’église et prie Dieu de le remettre « dans le droit chemin ».
Quelques mois après son éviction de Radio Gold, en 2011, il décroche son premier job à la télévision ghanéenne, sur la chaîne Metro TV. Sa prestance et son éloquence charment immédiatement les téléspectateurs, et Ignatius Annor devient une personnalité médiatique très populaire. Il est ensuite recruté par AfricaNews au Congo-Brazzaville, puis devient présentateur pour sa chaîne sœur EuroNews, avant d’obtenir en novembre 2020 sa mutation au siège de la chaîne à Lyon, en France.
En février, la journaliste ghanéenne Ayisha Ibrahim lui demande de réagir, en direct sur Joy News, à la polémique entourant l’inauguration d’un centre communautaire pour les personnes LGBT+ à Accra. Ignatius Annor n’hésite pas. « J’ai su que le moment était venu pour moi d’annoncer au grand jour qui j’étais. Donc je l’ai dit. Je suis un homme, ghanéen, un journaliste, et je suis gay. Les Ghanéens doivent comprendre que nous faisons partie de la société au même titre que les personnes hétérosexuelles, et qu’ils doivent nous traiter avec la dignité, la bienveillance et le respect qui nous sont dus. »
Une communauté suffocante
Après son coming-out, il reçoit des tombereaux de messages haineux sur les réseaux sociaux. « Mes amis restés au Ghana me racontaient qu’ils ne cessaient d’entendre mon nom à la télévision, à la radio, en prenant le taxi… partout. » Sur les plateaux, la condamnation est unanime. Les tenants autoproclamés des bonnes mœurs, et en premier lieu Moses Foh-Amoaning, secrétaire général d’un puissant lobby conservateur appelé « Coalition nationale pour les droits sexuels humains et les valeurs familiales », l’agonissent d’injures homophobes et de menaces à peine voilées. « Mais en privé, oh mon Dieu ! s’exclame Ignatius en riant. J’ai reçu énormément de messages d’amour et de soutien. Beaucoup de jeunes Ghanéens dans le placard me disaient qu’ils aimeraient avoir le courage de m’imiter, que mon coming-out leur donnait force et espoir. »
Offei (le prénom a été changé) est de ceux-là. Le jeune homme de 22 ans vit en banlieue d’Accra, et dans la crainte que son homosexualité soit découverte un jour. « Pour moi, le coming-out d’Ignatius Annor a été un acte héroïque, nous écrit-il sous couvert d’anonymat. J’ai grandi en le voyant à la télévision, et je l’ai toujours trouvé admirable. Grâce à lui, je me suis senti représenté. Je sais maintenant qu’un jour, moi aussi, je passerai à la télévision, et qu’un garçon queer se sentira représenté à son tour. Et je ferai mon coming-out à mon tour, pour que ce jeune garçon sache qu’il a le droit d’être lui-même, comme Ignatius me l’a appris. »
Aujourd’hui, Ignatius Annor dit avoir trouvé à Lyon « sa deuxième maison ». « Au Ghana, c’est comme si j’étais prisonnier de mon ombre. Mais en France et aux États-Unis, je peux enfin me montrer au grand jour. Rendez-vous compte, je mets ma photo sur les applis de rencontre ! Quand j’ai un rendez-vous galant, je peux tenir la main de mon partenaire en pleine rue ! Pour moi, c’est le paradis. C’est une promesse que Dieu m’avait faite, et qu’il a tenu. »
Mais pour la communauté LGBT du Ghana, cette perspective semble s’éloigner : huit députés conservateurs portent en cette fin d’année à l’Assemblée nationale un projet de loi visant à alourdir la répression des minorités sexuelles, en punissant l’homosexualité de dix ans de prison et en criminalisant la défense des droits des personnes LGBT. « Si ce projet de loi est adopté par le gouvernement, ce serait le coup de grâce porté à une communauté déjà suffocante, soupire Ignatius. Un pays qui oppresse ses minorités est un pays sans avenir. »
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