(Article publié une première fois le 15 juin 2022, sous le titre : « Abdoulaye Wade–Ahmadou Mahtar Mbow : le Sénégal a -t-il les plus vieux politiciens en activité du monde ? » Republié avec un nouveau titre, au lendemain du résultats des législatives sénégalaises, où Abdoulaye Wade a été élu député, à 96 ans, ce 5 aout 2022 .)
– Par Damel Mor Macoumba Seck * –
Le 29 mai dernier, jour de la fête des mères dans une grande partie du monde, était aussi la fête du « vieux père » au Sénégal : l’ex-Président de la République (2000-2012) Abdoulaye Wade célèbre ses 96 hivernages ce dimanche-là. Il n’en reste pas moins en activité politique. Ainsi, Wade père est tête de liste de sa coalition Wallu (« Secourir », en wolof), pour ce qui est du scrutin proportionnel au niveau national, pour les prochaines élections législatives du 31 juillet. Ceci en fait sans doute le plus vieil opposant au monde. Wade père ? C’est qu’il y a aussi un Wade fils : Karim Meïssa, exilé au Qatar après des déboires judiciaires non complètement soldés devant la justice sénégalaise. Karim est le patron bis du PDS, le parti démocratique sénégalais, fondé en 1974 par Abdoulaye Wade. Et les deux, père et fils, sont désormais les deux faces d’une même pièce de monnaie, où le géniteur essaie de rendre possible et réel le rêve d’accéder à la présidence de la République du premier fruit de sa progéniture. La coalition Wallu des Wade a conclu un accord avec l’autre coalition de poids de l’opposition : celle des Sonko et compagnie, Yewwi Askan Wi (« Libérer le peuple », en wolof). Ainsi, dans les départements, où se déroule un scrutin majoritaire, les deux coalitions présentent des listes communes. Au plan national, pour le scrutin proportionnel, chacune a sa liste propre.
La crise du Covid, avec son premier mort en mars 2000 au Sénégal en la personne du président Pape Diouf de l’Olympique de Marseille, avait mis Abdoulaye Wade en hibernation forcée. Lui, l’adepte des audiences en rafales, ne recevait plus, à son domicile provisoire du quartier dakarois de Fann-Résidence. De peur d’être contaminé au coronavirus, tel un Trump tropical obsédé par l’hygiène des mains. Wade avait également fait savoir qu’il s’était mis en retrait « pour écrire ses mémoires ». Tout cela pouvait laisser penser à une (pré)retraite paisible du vieillard terrible de la politique sénégalaise. En février 2022, c’est peut-être cette accalmie du volcan Wade qui a persuadé le président Macky Sall de donner son nom au plus moderne stade du Sénégal : le flambant neuf Stade Abdoulaye Wade de la ville nouvelle de Diamniadio, dans la conurbation dakaroise. Espoir vite déçu de ranger aux oubliettes le vieil opposant : il sera aux avant-postes, lors des prochaines législatives.
L’actuel président de l’Assemblée nationale, Moustapha Niasse, 83 ans, qui était déjà ministre sous le premier président du Sénégal Senghor, pourrait être le pendant de Wade au sein de la majorité présidentielle. Mais, ce n’est pas le cas. Celui qui danse avec Wade le tango de l’activité politique dans le grand âge, au sein du régime Sall, est l’autre aïeul : Amadou Makhtar Mbow, 101 ans. L’ex-premier directeur général africain de l’UNESCO (1974-1987) et déjà ministre de l’Education (1966-1968), puis de la Culture, sous le président Senghor, a été le président des « Assises nationales » de 2008-2009 (« Assises de l’opposition » plutôt, laquelle avait boycotté les législatives de 2007, suite à ce qu’elle qualifiait de hold-up de Wade sur la présidentielle de la même année). Les « Assises », de leur nom populaire, ont été le viatique sur lequel ont prêté serment les candidats opposés à Wade à la présidentielle de 2012. Lors de cette élection que Wade perdra, c’est durant l’entre-deux tours que le futur président Macky Sall ira chercher l’onction décisive du parrain des « Assises », pour se garantir le soutien unanime des autres candidats malheureux. Auparavant, Macky Sall avait accepté du bout des lèvres d’adhérer aux conclusions de ces « Assises » durant la campagne électorale, notamment du fait qu’il goûtait peu le régime parlementaire préconisé par ce grand raout. Mais, le Palais de l’avenue Senghor valait bien cela. Et Sall finira par s’y rallier in extremis, forçant au passage les barricades humaines qui tentaient de l’empêcher d’accéder au domicile du père Mbow, à la veille du second tour de la joute présidentielle de 2012. Le père Mbow a pu placer son gendre Amadou Kane dans le premier gouvernement du régime Sall, au poste de ministre de l’Economie et des Finances. Celui-ci n’y fera pas long feu. Mais Mbow reste la conscience morale et la caution tous risques de la coalition présidentielle Benno Bokk Yaakar (Unis dans le même espoir, en wolof), face aux accusations de dérives éthiques. En mars 2021, son centenaire a été célébré avec force colloques, au Sénégal et au Maroc notamment. Et l’université (encore en construction) de la ville nouvelle de Diamniadio, porte le nom d’Amadou Mahtar Mbow. Lui, affectionne de dire qu’il ne donne plus que des conseils. Mais le président Sall ne manque pas de le consulter. Wade-Mbow : les cacochymes de la politique qui persuadent peut-être tout le personnel politicien sénégalais que tant qu’il y a de la vie, il y a de l’espoir à remporter des victoires électorales ou à bénéficier d’une nomination par décret présidentiel. Verra-t-on un jour publiés les mémoires de Wade ou de Mbow ? Il est permis d’en douter.
* Damel Mor Macoumba Seck est éditorialiste chez Sentract