Par Mehdi Bâ, Jeune Afrique – La télévision sénégalaise peut-elle évoquer impunément le conflit en Casamance, cette guerre de basse intensité qui sévit depuis 1982 et représente le seul accroc notable à la stabilité légendaire du pays, qui n’a connu ni coup d’État ni conflit armé avec l’un de ses voisins depuis l’indépendance ?
Créée en 2014, la société de production Marodi TV, qui emploie aujourd’hui une centaine de salariés et intermittents, a estimé pouvoir répondre par l’affirmative. En 2021, avec le réalisateur Thian Thiandoum, elle a donc initié « Rebelles », une série inspirée de ce conflit qui devait être diffusée à partir du 21 septembre 2022 sur une chaîne du bouquet Canal+ disponible au Sénégal, Sunu Yeuf.
Pêle-mêle, on y trouve une galerie de personnages fictifs à la lisière de la réalité. Moïse Adjodjéna Badji, « un jeune politicien prometteur », protégé du directeur de cabinet du président de la République ; le capitaine Cheikh Djibril Bèye, chargé de la sécurisation de la zone, au contact direct de la rébellion, et qui « doit son ascension rapide au sein de l’armée à son extrême rigueur et à son sens prononcé de l’honneur » ; Malang Diedhiou, le chef de l’une des quatre factions rebelles casamançaises, qui est un ancien compagnon de lutte d’Émile Diatta, lui-même ancien ministre et ex-maire de Ziguinchor, chargé de négocier des accords de paix avec les factions rebelles en contrepartie d’un contrat minier pour un ami avec qui il a étudié à Paris… Et, bien sûr, le président sénégalais Alsim Fall, un ancien professeur de droit « porté à la présidence, un peu contre son gré, par sa femme ».
Affaire remontée en haut lieu
Mais, à quelques jours de la première diffusion, l’affaire remonte en haut lieu et l’agenda est bouleversé. Le directeur de la Cinématographie, Germain Coly, informe en effet Marodi TV et le diffuseur pressenti que le lancement de la série n’est pas autorisé.
Pour tenter de régler le litige, alors que les huit premiers épisodes sont déjà prêts et que les suivants ont en partie été tournés, quatre réunions successives auront lieu entre la production et les autorités. Le 9 septembre, l’ancien ministre de la Culture, Abdoulaye Diop, rencontre ainsi des représentants de Marodi en présence de Germain Coly. Cinq jours plus tard, un nouveau rendez-vous réunit cette fois Serigne Massamba Ndour, le PDG de Marodi, et le directeur de la Cinématographie.
Le 30 septembre, quelques jours après un remaniement ministériel, Aliou Sow, le nouveau ministre de la Culture, et la direction de Marodi se voient à nouveau. Enfin, le 5 octobre, trois personnes de Marodi TV ont un entretien avec Germain Coly. « Nous lui avons alors remis un support comprenant huit épisodes prêts à diffuser de Rebelles », indique le producteur.
« Il était prévu qu’il mette sur pied un comité de visionnage la semaine suivante, précise à Jeune Afrique Julia Cabrita Diatta, la directrice commerciale et du développement marketing de Marodi TV. Ce comité aurait réuni les représentants de la production ainsi que des experts indépendants afin d’évaluer la teneur de la série. » Mais, à l’en croire, cette réunion n’aura jamais lieu. « Depuis lors, Germain Coly ne décroche plus lorsque nous cherchons à le contacter », assure Thian Thiandoum. Ce dernier précise toutefois que la rencontre précédente s’était bien passée, dans une ambiance conviviale.
Contacté par JA, Germain Coly n’a pas souhaité s’exprimer. Il nous a renvoyés à un communiqué daté du 21 septembre dernier dans lequel le directeur de la Cinématographie expliquait ainsi le blocage ayant frappé la diffusion de Rebelles : « Il a été constamment relevé un manque de collaboration, frisant même la défiance puisque [le directeur général] de Marodi a continué à faire des tournages, sans autorisation, et à diffuser la bande annonce de la série », écrit-il.