Tract-
Son nom semble tomber dans l’oubli et nombre de jeunes d’aujourd’hui ignorent la grande dame que fut Caroline Faye. Première femme sénégalaise choisie à différents postes nominatifs et électifs, ministre et député, elle apparaît comme la pionnière et la référence de toutes les femmes qui aspirent à plus de pouvoir dans la sphère politique au Sénégal et au-delà. Sa vie se conjugue au passé certes mais son vécu reste toujours une flamme qui illumine aux femmes la voie vers plus de pouvoir et convainc les plus grands phallocrates de la capacité de la Femme à diriger.
Aujourd’hui le parcours de Caroline Faye peut ne plus impressionner comme avant puisque des femmes ministres et députés se comptent en dizaine au Sénégal et peut-être en centaine en Afrique. Mais si l’on remonte à la première décennie après l’indépendance du Sénégal, on se rendra compte que le statut de cette dame de convictions et de principes était plus qu’enviable. Caroline Faye aura fait toutes les stations, aussi bien en tant que membre du gouvernement qu’en tant que représentante du peuple. Son mérite réside par-dessus tout dans le fait qu’elle fût première femme députée du Sénégal et première femme ministre de toute l’Afrique.
Un vécu dans l’enseignement
Née en 1923, Caroline Faye est de la génération qui servira d’exemples et de modèles à la gente féminine. Après un parcours scolaire sanctionné par un diplôme en 1945, elle s’engage à l’instar de nombre d’intellectuels d’alors dans l’enseignement. Pour une femme, occuper un tel poste à cette époque-là n’était pas seulement un défi mais une grande responsabilité. Parce qu’à cette époque-là, le regard de la société sur la femme était d’un œil injuste, basé sur le sexisme et souvent sans fondements. A cette époque-là, la Femme était confinée dans les travaux ménagers et elle s’y plaisait ; ce qui réduisit sa compétence et son ingéniosité.
C’est avec Caroline Faye donc que ces chaînes qui entravent la marche de la Femme ont été brisées. La hiérarchie est bousculée, l’ordre établi jusque-là défié et l’émancipation engagée. On aurait dit le type de femme instruite que raconte Mariama Ba dans sa longue lettre. Son vécu d’enseignante ayant roulé son bosse à Louga, Thiès, Matam et Mbour permettra à celle qu’on peut appeler La Pionnière d’être davantage attentive aux problèmes sociaux, économiques et culturels de son entourage. Cette situation va précipiter son entrée en politique alors qu’elle était en service à Mbour, en tant que directrice d’école entre 1951 et 1962. Son séjour à Mbour n’impactera pas que sur son destin en tant qu’agent de l’Etat ; c’est là que le sort la liera pour toujours à Demba Diop qui deviendra son époux en 1951.
L’engagement politique face à des frères qui ne lui font pas cadeau
Parallèlement à son métier d’enseignante, Caroline Faye Diop s’impliquera aussi dans la politique en intégrant le Bloc démocratique sénégalais (Bds) de Senghor en 1945. Au fur et à mesure de l’évolution politique, elle fera partie des femmes ayant mis en place le mouvement féminin de l’Union progressiste sénégalaise (Ups) dont elle sera à la tête à partir de juin 1954. Cette présence active dans la scène politique sera couronnée par son élection comme député en 1963. Un évènement inédit.
Caroline Faye devient ainsi la première femme députée du Sénégal ; elle siègera à l’Assemblée nationale jusqu’en 1978. Pendant son séjour parlementaire, elle occupe le poste de 4èmevice-présidente de l’institution. La présence d’une seule voix féminine au sein d’une assemblée de voix masculines ne peut constituer un réel poids. Mais celle de Caroline a compté lors du vote du Code de la famille, portant la voix de toutes les autres femmes aphones jusque-là. Sa détermination et son parcours montrent à toutes les femmes qui veulent s’identifier à elles qu’en politique rien ne s’offre ; tout s’arrache.
Ministre des présidents Senghor et Diouf
Après la parenthèse parlementaire, Caroline Faye Diop est promue dans l’attelage gouvernemental. Elle devient ainsi première femme ministre au Sénégal et en Afrique. C’est en 1978 qu’elle dirige le ministère de l’Action sociale ; puis elle devient ministre délégué auprès du premier ministre après l’avènement du président Abdou Diouf, entre 1981 et 1982. Le curriculum vitae de Caroline Faye Diop se renforce avec le portefeuille de ministre d’Etat de 1982 à 1983.
Le passage à ces différents postes est marqué par des initiatives aussi pertinentes que diversifiées dont certaines vont dans le sens de promouvoir la Femme sénégalaise. Il s’agit surtout de la création des Groupements de promotions féminines, des allocations familiales pour les femmes et de façon générale le Code de la famille en tant que député. Caroline Faye Diop a dédié toute sa vie à la lutte pour l’émancipation de la femme, et au renforcement des capacités de la femme connu aujourd’hui sous le vocable de « women empowerment ».
Caroline Faye Diop n’était pas une féministe dans le sens de militante pour l’égalité mathématique des genres ou la suprématie même de la femme sur l’homme. Mais son dévouement à la cause féminine l’a portée au-devant de tous les combats politiques impliquant les femmes de 1960 à 1992, date de sa mort. De l’émancipation de la femme sous le président Senghor à la loi sur la parité votée sous Wade, la trajectoire et le vécu de Caroline Faye ont servi de guide aux militantes des droits de la Femme au Sénégal.Ne serait-ce que pour cette raison, le nom de Caroline Faye ne mérite pas de tomber dans l’oubli. Même si à Mbour, son fief, un stade porte son nom, cette brave dame doit être plus présente dans nos réminiscences, en reconnaissance à son inestimable travail.