[Tribune] Un président controversé à la tête de l’exécutif iranien 

SENtract – Le nouveau président, qui a remplacé le 3 août le sortant Hassan Rohani, a été imposé par Guide suprême iranien à la fois pour sa docilité et la brutalité de ses méthodes. Pour étouffer une société touchée par de graves crises économiques et sociales, Ebrahim Raïssi à la tête du pouvoir exécutif a été jugé nécessaire pour compléter l’emprise du dictateur qui a déjà installé deux ultraconservateurs à la tête du pouvoir judiciaire et du parlement des mollahs. 

 

Pour dénoncer la dérive totalitaire, ils étaient nombreux à l’intérieur et sur les réseaux sociaux à appeler au boycott de la mascarade électorale. Les militants de la société civile, les mères des manifestants exécutés, les travailleurs, les enseignants, les minorités ethniques et religieuses et surtout les unités de résistance de l’opposition organisée, s’étaient massivement mobilisés pour la campagne du « NON à la théocratie » et « Oui au changement ». La campagne a été largement suivie par la population qui dorénavant rejette dos à dos les factions dites « modérés » et « radicaux » du pouvoir iranien.

 

Un changement de paradigme politique

L’abstention, jugée historique, a marqué un changement de paradigme sur la scène politique iranienne : alors que le régime avait joué sur la rivalité des factions pour entrainer une partie de la population à miser sur une éventuelle réforme de l’intérieur, aujourd’hui il est devenu claire pour les Iraniens qu’il ne faut plus rien attendre de ce régime. Ali Khamenei a fait le choix d’un pouvoir monolithique en écartant les soi-disant modérés du jeu politique.

Ce jeu de dupe avait été habilement exploité par les dirigeants iraniens pour inciter leurs interlocuteurs occidentaux à céder aux caprices du régime et de fermer les yeux sur ses méfaits, notamment en matière des droits de l’homme, ses ingérences régionale déstabilisatrices et même son programme nucléaire et balistique menaçant… toujours dans la chimérique espoir de voir un jour s’installer un modéré à la tête du pouvoir iranien.

Les Iraniens l’auront bien compris, après quarante ans de dictature religieuse, il est temps de changer de régime. La collusion des factions pour étouffer ses revendications légitimes a fini par convaincre la population que la solution réside dans un bouleversement profond de l’ordre politique en place. 

Lors des soulèvements populaires des dernières années contre la cherté de la vie et la corruption de l’élite politique, des milliers de manifestants ont été tués et torturés. La faction dite modérée a cautionné la répression brutale de la révolte contre la hausse du prix du carburant en novembre 2019 : avec 1500 tués par balles et douze milles arrestations, cet épisode a été l’une des plus sanglante depuis l’avènement du régime islamiste en 1979.

 

Raïssi, un membre zélé de la « commission de la mort »

Embourbé dans des crises inextricables et face à la perspective d’autres déferlantes menaçantes, le Guide a fait le choix de Raïssi pour mieux affronter les périls de son pouvoir. Ayant servi durant quatre décennies dans le système judiciaire, il est un agent notoire de la répression. Avec Raïssi à la tête du judiciaire, l’Iran s’est arrogé le palmarès mondial du nombre d’exécutions par habitant. 

Après les grandes manifestations contre la réélection truquée de Mahmoud Ahmadinejad à la présidence en 2009, Raïssi, alors le n°2 du pouvoir judiciaire, a répondu sèchement à ceux qui clamaient la clémence recommandées dans la religion contre les manifestants. Concernant « les ennemis de Dieu » et ceux qui n’avaient fait que jeter des pierres et qui risquaient maintenant la peine de mort, il a déclaré : « Est considéré comme mohareb celui qui se dresse contre Dieu, son Prophète et les commandements de Dieu (…) Certains ont créé la polémique en affirmant qu’une personne doit forcément être armée pour être reconnu comme mohareb. Or, dans la jurisprudence islamique, l’arme n’est pas forcément une épée ou une arme à feu ; il peut s’agir d’une arme blanche, il peut s’agir d’un couteau, d’un bâton ou d’une pierre. » Plusieurs manifestants furent alors exécutés.

C’est sous ce même chef d’inculpation que des milliers de militants politiques avaient été passé par les armes dans les années 1980, lorsque le Guide suprême de l’époque avait décidé de purger les prisons iraniens des prisonniers récalcitrants. Membre zélé de la terrible « commission de la mort », Ebrahim Raïssi avait été chargée d’appliquer une fatwa de l’ayatollah Khomeiny en vue d’anéantir l’opposition démocratique. Quelques 30 000 prisonniers politiques furent exécutés à l’été 1988. La plupart des victimes étaient sympathisants du principal mouvement d’opposition, l’Organisation des Moudjahidine du Peuple d’Iran (OMPI), avec un tiers de femmes et une majorité d’étudiants et de lycéens. Ce massacre des détenus politiques sans défense a été qualifié par Amnesty international de « crime contre l’humanité qui perdure ».

 

La France doit prendre le devant d’une enquête internationale

Indignée par l’annonce de l’élection de Raïssi à la présidence iranienne, Agnès Callamard, Secrétaire générale d’Amnesty International, a martelé : «  Le fait qu’Ebrahim Raisi ait accédé à la présidence au lieu de faire l’objet d’une enquête pour les crimes contre l’humanité que constituent les meurtres, les disparitions forcées et la torture, est un sombre rappel de l’impunité qui règne en maître en Iran (…) Sous sa gouverne, le pouvoir judiciaire a accordé une impunité généralisée aux forces de sécurité responsables de l’homicide illégal de centaines d’hommes, de femmes et d’enfants et d’avoir soumis des milliers de manifestants à des arrestations de masse et pour des centaines d’entre eux, à des disparitions forcées, des actes de torture et d’autres mauvais traitements pendant et après les manifestations de novembre 2019 à travers le pays. »

Le Rapporteur spécial des Nations unies sur les Droits de l’Homme en Iran, Javaid Rehman, n’a pas lésiné de son côté pour exiger une réaction internationale. « Une enquête indépendante sur les allégations d’exécution par l’État de milliers de prisonniers politiques en 1988 », et sur le rôle joué par « Ebrahim Raïssi en tant que procureur adjoint de Téhéran est nécessaire (…) Nous aurons de très sérieuses préoccupations au sujet de ce président et du rôle qu’il aurait joué historiquement dans ces exécutions. » Il a précisé à Reuters qu’au fil des ans, son bureau avait recueilli des témoignages et des preuves et qu’il était prêt à les partager si le Conseil des droits de l’homme des Nations unies ou un autre organisme mettait en place une enquête impartiale.

 

Pour leur part, les démocrates iraniens entendent jeter tout leur poids dans la balance pour réitérer leur appelle pour une enquête sur le massacre de 1988. Avec Raïssi à la présidence et l’exacerbation de la politique de répression que cela augure, il est temps pour la communauté internationale doit de prendre le devant pour défendre le peuple iranien devant ses bourreaux. Un premier pas serait d’établir un mécanisme impartial avec pour mission de collecter et d’analyser les éléments de preuve sur les crimes les plus graves au titre du droit international commis en Iran, afin de faciliter des procédures pénales équitables et indépendantes. 

Saurons-nous alors rester fidèles à nos valeurs face aux défis grandissants lancés par les ennemis jurés des droits de l’homme et des libertés fondamentales.  

Par Hamid Enayat