[INTERVIEW] Dr Debora Kayembe invite la RDC ‘à prendre ses responsabilités dans la promotion de la paix et le respect de la dignité humaine’

Palestinian protest Edinburgh 17th oct' 2015

Tract – Entretien avec Dr Debora KAYEMBE, activiste des droits de l’homme de renommée mondiale, actuellement rectrice à l’Université d’Édimbourg en Ecosse.

 

Pouvez-vous vous présenter ?

Mon nom est Dr Debora Kayembe. Je suis activiste des droits de l’homme, avocate et linguiste de formation. Je suis actuellement rectrice de l’Université d’Édimbourg en Ecosse, une institution académique qui existe depuis 1583 et est classée 15ème sur l’échelle mondiale. Par ailleurs, je suis la fondatrice et la directrice exécutive de « Full Options », une organisation humanitaire qui s’intéresse aux questions relatives aux droits de l’Homme. « Full Options » a pour objectif, en effet, de promouvoir et de protéger les droits de l’Homme. Cette organisation s’inscrit dans la même optique que celle du leader visionnaire de la campagne anti-raciste de renommée mondiale dénommée « La marche pour la liberté »  (The FreedomWalkCampaign).

J’ai également exercé ma profession d’avocate et de linguiste près du greffe et du bureau du procureur de la Cour Pénale internationale à la Haye. Mon rôle s’est résumé à soutenir les victimes de guerres et à recueillir leurs témoignages, en vue de l’identification des agresseurs. Pendant plusieurs années, j’ai travaillé en tant qu’avocate d’investigation sur les auteurs de crimes de guerre à l’Est de la République Démocratique du Congo (RDC) ; et en tant que linguiste, j’ai travaillé auprès du Ministère de la Santé Britannique, en accompagnant les victimes et survivants des violences sexuelles, en vue de leur réhabilitation et de leur réinsertion dans la société. J’ai recueilli beaucoup de témoignages des victimes et des agresseurs, aussi bien en contexte de paix relative qu’en temps de guerre.

Selon vous, en Afrique en général et en RDC en particulier, quels sont les principaux enjeux pour la prévention et la lutte contre les violences basées sur le genre en général, et en particulier sur celles faites aux femmes ?

Le tout premier, c’est l’éducation dans nos familles, cellule de base d’une nation. Ensuite, nos institutions académiques devraient prendre la relève, en sensibilisant sur le sexisme et le caractère masochiste de notre société patriarcale, le respect de l’individu dans la société et le respect qui devrait exister dans une liaison conjugale. Compte tenu de l’ampleur des violences sexuelles en Afrique, en général, et en RDC, en particulier, il devrait y avoir des programmes spéciaux d’accompagnements psychologiques et des traitements psychiatriques au bénéfice des survivants desdites violences. Nous devons aussi penser à la prévention de ces violences dont la recrudescence devient de plus en plus inquiétante. J’estime qu’il revient à l’Etat de sponsoriser et de mener cette lutte préventive, avec l’appui des programmes humanitaires et des Organisations Non-Gouvernementales.

Aujourd’hui, percevez-vous une évolution de la prise en compte de la problématique des violences basées sur le genre au niveau local?

Pas d’une manière efficace. Par contre, je vois, de plus en plus, de programmes spontanés et à caractère spectaculaire qui ne sont malheureusement pas productifs. N’oubliez pas que les méthodes de violences sexuelles, comme arme de guerre, ne concernent pas que l’Afrique, mais davantage l’Europe. Pendant des siècles, les grandes puissances qui ont été en conflit aussi bien en Europe que dans les Amériques avaient utilisé les mêmes méthodes. Mais les Européens sont parvenus à mettre fin à ce fléau en éduquant leurs populations par le traitement de la mentalité, la promotion et le respect des droits humains. Ils se sont investis dans le domaine du redressement des valeurs sociales en sanctionnant sévèrement les auteurs de ces crimes, dont certains étaient même bannis de leur communauté.

Du côté de la RDC, je ne vois toujours pas une évolution efficace de la prise en charge de la problématique des violences basées sur le genre, et c’est la raison pour laquelle ce fléau continue de faire des dégâts dans nos sociétés. C’est à peine qu’au niveau local, les gens commencent à en prendre conscience, comme je l’ai dit au départ. Le sexisme est un problème réel de notre société où on voit la femme comme la représentation d’un désir sexuel et rien d’autre.

Pourquoi est-ce important qu’il y ait une action coordonnée des acteurs de terrain et des collectivités locales en plus d’une action au niveau étatique ?

Soyons réalistes ! Même dans les pays dits développés, les actions de terrain et des collectivités ne peuvent pas durer sans appui financier et logistique. Il faut toujours un moyen permanent de financement qui pourra permettre que la continuité des projets reste constante. L’apport de l’Etat est donc primordial. Voilà pourquoi je préconise que l’État se dote d’un budget à part entière pour faire face à cette question. Et ainsi, il y aura un minimum de fonds accordés aux ONG pour parvenir à leurs missions.

Dans le cas de la RDC, qui est actuellement la zone « rouge » des pays où sévissent les violences sexuelles, il est scandaleux que même le ministère de l’éducation national ne dispose pas de budget conséquent dans ce sens. Dans un tel contexte, comment peut-on éduquer et sensibiliser contre la prolifération de ces fléaux dans la société ?

La problématique des violences basées sur le genre s’inscrit parmi les axes que vous explorez au regard de votre déploiement ; concrètement, à quelles actions participez-vous ?

A ce stade, je suis à la phase d’investigation du fléau et celle d’études approfondies sur les causes de ces comportements aberrants, car la situation diffère d’une société à une autre et les causes aussi diffèrent d’un coin du monde à un autre ou d’un pays à un autre. L’accompagnement psychologique et le traitement psychiatrique sont principalement les actions que mon organisation va s’atteler à promouvoir. Et nous allons mettre ces moyens d’accompagnement à la disposition des victimes et des survivants. En plus de cela, nous allons toujours appeler à la fin de l’impunité, afin que les personnes qui orchestrent et organisent ces crimes répondent de leurs actes.

Quelles pistes pourraient être développées à l’avenir afin d’améliorer la lutte contre les violences basées sur le genre en Afrique en général, et précisément au Congo ?

En premier lieu, il s’agira toujours de la piste de l’éducation de nos masses, ensuite, celle de la répression de ceux qui commettent ces actes. La réparation ne peut pas être efficace sans la justice. L’État devrait prendre ses responsabilités dans la sensibilisation, la promotion de la paix et le respect de la dignité humaine.

Propos recueillis par Baltazar Atangana