Tract – Nous nous sommes entretenus avec la journaliste et écrivaine d’expression francophone Irène EKOUTA. Auteure de plusieurs œuvres littéraires, elle a récemment publié, aux éditions Lakalita, « Tant d’adieux » qu’elle présente comme un laïus à ses lecteurs à suivre les aspirations de leur cœur dans ce monde fait d’improbabilités et de contradictions.
Salut Irène Ekouta. Nous sommes heureux de vous recevoir.
Le plaisir est partagé.
Comment s’est opérée la transition entre l’écriture de nouvelles et le roman ?
Je m’interdis les cloisons créatives car je considère que l’histoire peut imposer le genre. Et chaque genre a sa technique mais, la recette reste la même pour tous : l’authenticité. Il faut du souffle pour aller jusqu’au bout d’une histoire qui vibre en soi, préserver la même énergie, accepter les pannes d’inspiration, écrire, relire, effacer, recommencer. C’est du sport. Le plus dur c’est de s’engager pleinement dans la narration de l’histoire et ne pas se mentir. Autrement, dans cette transition, je me suis contenté d’écrire, sans me questionner sur ma légitimité. « Tant d’adieux » m’obsédait tellement qu’il était impossible de faire autrement que d’avancer.
Quelles sont les thématiques que vous abordez dans Tant d’adieux ?
Le thème majeur est la quête d’amour. C’est l’histoire d’un homme qui, du jour au lendemain, quitte tout pour aller à la rencontre d’un amour fantasmé, une âme sœur qui, d’après lui, vibre ailleurs. Au final, ce chemin vers l’autre le ramène à un chemin vers lui-même. Je pense que tout dans la vie, dans le monde est une question d’amour. L’amour, c’est quelque chose d’absolument magnifique. Il faut le vivre ou se le fabriquer.
J’y évoque également les inégalités sociales, la mal gouvernance, le pouvoir des femmes dans les sociétés traditionnelles, les familles dysfonctionnelles, etc. J’aime décrire « Tant d’adieux » comme un puzzle. Comme la vie. Comme les fragments d’histoires éparses qui n’ont de sens qu’une fois mises ensemble.
Est-il possible de considérer Tant d’adieux comme l’instance de la célébration de la vie dans un monde en pleine mutation?
« Tant d’adieux » n’est qu’une proposition parmi tant d’autres. C’est une perspective de mon regard sur la société d’aujourd’hui. Peut-être aura-t-elle plus de sens dans 50 ans, lorsque les futures générations liront le livre et se surprendront des réalités de la vie à notre époque.
Au regard de la mise en relation des mondes aux visions opposées, esquissez-vous une nouvelle dialectique de la relation humaine qui ne tient plus compte du lieu ou de l’appartenance socioculturelle et bien au-delà?
Absolument. Les recherches que j’ai faites pendant la rédaction de cet ouvrage ont renforcé ma conviction que la diversité est une chance pour la race humaine et qu’il y a plus de ressemblances entre les peuples qu’il n’y paraît. Il nous faut juste un peu de curiosité pour nous rendre compte que les bamilékés du Cameroun ne sont pas les seuls au monde à pratiquer le culte des crânes. Cette pratique est très ancrée en Amérique du Sud et, comme chez nous, ces traditions se heurtent aux religions judéo-chrétiennes. Il existe tellement de liens entre les peuples que c’est paresseux de se cantonner à une seule vision du monde.
Y-a-t-il un aspect autobiographique dans Tant d’adieux?
L’écrivain(e) laisse toujours des plumes dans les histoires qu’il(elle) raconte. Quand je décris le sort des populations de Tomb’lo (routes impraticables, absence de structures sanitaires, promesses politiques fallacieuses, etc.), cela s’appuie sur du vécu, sur une certaine amertume. Je laisse le soin aux lecteurs de dresser des parallèles. Mais je suis sûre que ce sont des réalités familières à de nombreuses personnes à travers le monde.
Dans Tant d’adieux, vous avez une approche qui met en exergue deux dimensions : les liens humains et les lieux d’appartenance.
C’est vrai. Mais, les lieux sont de moindre importance par rapport à la force des liens humains. « Tant d’adieux » montre à quel point l’univers s’acharne, quelquefois, à réunir des personnes pour servir de grandes causes et/ou provoquer des déclics qui changent le cours de l’histoire. Ce sont ces improbabilités qui rendent la vie encore plus spectaculaire qu’elle ne l’est. Lorsqu’on en est conscient, on se laisse surprendre, avec le sourire.
Le monde est de plus en plus marqué par des violences généralisées : Le rôle de l’écriture littéraire dans tout ça…
Imprimer. Dénoncer. Apaiser.
Imprimer pour que les générations futures sachent par quoi leurs ancêtres sont passés.
Dénoncer les injustices.
Apaiser pour que l’Homme se souvienne qu’il est Eros.
Quels sont les auteurs qui ont marqué votre trajectoire jusqu’ici…
Richard Wrigt, Maya Angelou, Jean Ikélé Matiba, Hemley Boum, Fatou Diome, Oscar Wilde, Albert Camus, Nicolas Barreau, Ferdinand Oyono, Mutt-Lon, ils sont beaucoup trop nombreux. Mais la base c’est Richard Wright. « Black boy » a bouleversé ma vie à jamais.
Quel message veut faire passer la romancière Irène Ekouta, avec Tant d’adieux ?
Que le monde est fait d’improbabilités et de contradictions. Qu’il faut suivre les aspirations de son cœur. Qu’il ne sert à rien de vivre si l’on se refuse à nos rêves les plus fous. Que l’amour triomphe de tout.
Propos recueillis par Baltazar Atangana
Critique littéraire
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