En tous les cas, Aïssata Tall Sall a osé poser un acte de « transhumance » à laquelle, aucun Sénégalais ne s’attendait.
Qu’Idrissa Seck accepte le poste de président du Conseil économique, social et environnemental (CESE), ne nous surprend pas. D’une part, Idrissa Seck est et a toujours été un opportuniste politique. Même la mairie de Thiès dont il est élu est mise en sous-traitance et fait l’objet de plusieurs polémiques. D’autre part, il a tout simplement rejoint sa famille politique libérale qui a contribué à la dégradation de notre pays et au pillage organisé des deniers publics du Sénégal notamment depuis mars 2000 date de la première alternance du Sénégal. Les chantiers de Thiès et les productions d’Abdou Latif Coulibaly dans ces ouvrages d’investigations dont « Wade, un opposant au pouvoir, l’Alternance piégée, Éditions Sentinelles, 2003, Contes et mécomptes de l’ONOCI, Paris, l’Harmattan, 2009… » confortent nos propos.
S’agissant d’Aïssata Tall Sall, je suis déçu et indigné. En effet, Aïssata Tall Sall fait partie des personnalités politiques qui avaient motivé mon implication au sein de Vision socialiste, la section des cadres du parti socialiste. Son engagement pour la défense des services publics de l’éducation, de la santé, de la bonne gouvernance, de la gestion sobre et vertueuse des ressources du pays m’avait laissé croire qu’ensemble, on pouvait ouvrir des brèches pour sortir le Sénégal des difficultés auxquelles il se trouve confiné depuis plusieurs années. Souvent, elle nous rappelait la nécessité de nous mobiliser pour combattre la coalition Benno Bokk Yakar et ses acteurs dont la vision était dévastatrice pour notre pays.
En acceptant le poste de Ministre des affaires étrangères, des Sénégalais de l’extérieur, elle choisit de collaborer avec l’actuel régime qui prône une vision totalement contraire à celle qu’elle a toujours défendue et que des leaders éclairés comme Mamadou Dia a exprimé dans « Afrique, le prix de la liberté, l’Harmattan, 2001 ».
Au regard de ces éclairages, nous considérons qu’Aïssata Tall Sall est une « transhumante » au même titre que tous les autres transhumants. Elle n’ose plus affronter l’avenir qui consisterait à prendre son bâton de pèlerin pour conquérir le pouvoir.
Sa nomination est uniquement un moyen de la récompenser en tant que cliente et alliée politique de dernière heure et c’est dommage. Elle a choisi sa carrière personnelle au détriment de l’intérêt général. Mais c’est un acte qu’elle aurait pu poser dès le départ lorsqu’elle était membre du bureau du parti socialiste. Elle aurait pu s’aligner à la discipline du parti socialiste, comme le lui conseillait feu Ousmane Tanor Dieng et nous l’aurions comprise.
En tous les cas, ce remaniement a encore démontré que la parole politique est de plus en plus gangrénée par le mensonge. Elle est de moins en moins crédible et amène les sénégalais à se demander s’ils vont continuer de croire et de voter pour ces politiciens qui, une fois au pouvoir, rangent aux oubliettes leurs propres convictions et leurs promesses annoncées pendant les campagnes électorales. La politique est gangrénée par la prédominance de mensonges, de combines, d’arrangements éphémères, de ruses, de complaisances, de compromissions, sans aucune possibilité de progrès. C’est un constat qu’avait établi Axelle Kabou dans son ouvrage « Et si l’Afrique refusait le développement ?, Paris, Éditions L’Harmattan, 1991 » et qui concerne toujours toute l’Afrique subsaharienne.
Comme l’a si bien dit Babacar Sall, « L’éthique de la responsabilité a laissé place à l’intérêt stricto-personnel ». En effet, le mal du système politique sénégalais est aussi l’électoralisme qui ne mène à aucune alternative bénéfique pour le pays, mais plutôt à des changements du pire qui font regretter les régimes antérieurs. A ceci s’ajoute la crise d’exemplarité quasi-générale de la société globale. Les jeunes sénégalais qui émigrent et meurent en mer ne sont pas seulement en fuite de leur pays natal pour des raisons économiques, mais souffrent aussi de manque d’exemplarité et de modèle de référence. Ils sont arc-boutés, par ricochet, à des horizons brisés qui bouchent toutes perspectives d’avenir
Dans ce contexte, l’émergence du Sénégal devient problématique. Elle appelle à des préalables qui n’ont pas été pris en compte dans l’élaboration des plans et des mécanismes qui ont fondé cette nouvelle utopie dont on peut se douter qu’elle puisse rendre l’homme politique meilleur pour porter la vraie émergence axée sur l’organisation, la justice, le sens de l’intérêt général, la souveraineté nationale, l’éthique de la responsabilité, le primat du développement et la fin du politicien.
Ce sont des problématiques que j’ai développées dans mon dernier ouvrage intitulé « Sénégal, diagnostic d’un pays candidat à l’émergence » aux Editions l’harmattan en 2019 et j’invite nos concitoyens à les réviser afin d’en tirer toutes les utilités.
Momar-Sokhna DIOP est professeur d’économie-gestion, et écrivain.