L’ancien intérieur de North Carolina est depuis trois ans scout pour les New-York Knicks. Dans ce long entretien, Makhtar Ndiaye revient sur son parcours qui lui a permis de devenir le premier joueur sénégalais à évoluer en NBA.
Bien avant Gorgui Dieng ou Tacko Fall, il y a eu Makhtar Ndiaye. Né à Diourbel, à environ 150 kilomètres à l’Est de Dakar le 12 décembre 1973, visiblement sous une bonne étoile, Makhtar Ndiaye a connu un parcours fait de belles histoires. Du lycée d’Oak Hill à Michigan où il a pu jouer avec le « Fab Five » (1993-1995) en passant par North Carolina (1996-1998) aux côtés de Vince Carter et Antawn Jaminson et bien d’autres.Makhtar Ndiaye a également marqué l’histoire en devenant le premier joueur sénégalais à jouer en NBA. Un pionnier qui rêvait de jouer en Pro A où il a évolué pendant près de dix ans (Besançon, Vichy, Dijon, Asvel et Roanne) et qui a laissé pour toujours son empreinte dans la plus grand ligue du monde, aux Vancouver Grizzlies, ouvrant ensuite la voie pour neuf de ses compatriotes qui ont eux aussi franchi le pas, de Gorgui Dieng à Desagana Diop en passant par Saer Sené et donc Tacko Fall.
« En fait, mon rêve n’a jamais été de venir aux États-Unis. Ayant grandi au Sénégal, on était tout le temps exposé au championnat de France plus qu’autre chose. Mon rêve, c’était de jouer en Pro A, de voir les Jean-Aimé Toupane, les Benkaly Kaba. C’étaient eux mes idoles », se rappelle l’ancien intérieur aujourd’hui scout pour la franchise des Knicks.
Les premiers pas aux Etats-Unis
Passé par le centre de formation de Reims, Makhtar Ndiaye est même allé jusqu’à écrire une lettre à Charles Biétry, alors président du PSG Racing, pour lui demander de le signer. « Malheureusement pour eux, et heureusement pour moi, ça ne s’est pas fait », souligne-t-il. Repéré par les plus grandes facs américaines lors d’un tournoi à Nantes dont il avait été élu MVP, le jeune intérieur finit par céder aux sirènes venues d’outre atlantique et atterrit à Oak Hill où il doit passer le SAT et le TOEFL pour parfaire son anglais. Il évolue alors avec Jerry Stackhouse et Jeff McInnis, futures vedettes de North Carolina.
« Je disais récemment à mon fils qu’il y a une chose qu’on a accompli là-bas et dont je suis très fier, c’est que je n’ai jamais perdu un match en high school. On a fait 36 victoires, 0 défaite. On finit champions des Etats-Unis, et je pulvérise le record de contres de l’état de Virginie qui était détenu par Alonzo Mourning ».
Alors qu’il devait jouer aux côtés de Tim Duncan pour Wake Forest, une université qu’il souhaitait « faire grandir », Makhtar Ndiaye débute finalement sa carrière universitaire à Michigan, à la grande époque du Fab Five en 1993. « J’ai toujours été attiré par les shorts jaunes de Michigan, c’était un mythe. Et Chris Webber était mon joueur universitaire préféré, je me suis dit : pourquoi pas », se souvient-il.
« La première année, on fait l’Elite 8 et on termine aux portes du Final Four. Et Juwan Howard et Jalen Rose partent. Quand ils sont partis, ça m’embêtait un peu. Je ne voulais pas rester tout seul. Je suis quand même resté une année de plus, et ensuite je suis parti… parce que j’avais froid, c’est tout ! Je ne voulais pas rester, même si j’avais des bons potes là-bas ».
À l’époque, Ndiaye est déjà un « vieux » joueur universitaire. Alors que certains entrent à 18 ans en NBA, il a 23 ans quand il rejoint la non moins prestigieuse fac de North Carolina, où il vit deux des plus belles années de sa carrière entre 1996 et 1998. Aux côtés de Vince Carter, Antawn Jamison ou encore Brandon Haywood, il vit deux participations au Final Four. Deux grands moments même si les deux revers en demi-finale lui laissent encore un goût amer.
« Il y avait la place pour aller au bout, les deux années, » regrette-t-il. « Le problème, c’est que lorsque tu arrives au Final Four sur une dynamique de victoires, tu te dis que rien ne peut t’arriver. C’est ce qu’il s’est passé avec nous. La première année, c’était l’année sophomore de Vince Carter et Antawn Jamison, on perd en demi-finale parce qu’on tombe sur une putain d’équipe d’Arizona qui était en feu (portée par Mike Bibby et Jason Terry). Ils nous ont battus, mais avant ils avaient tapé Kansas et ils battent Kentucky en finale. On était les trois têtes de série. Ça n’était jamais arrivé ».
« L’année suivante, on remporte 19 matchs de suite. On arrive au Final Four en pensant encore que rien ne peut nous arriver, que c’est notre année. Et on perd contre Utah (emmenée par Andre Miller et Michael Doleac). On rejoue ce match 100 fois on le remporte 99 fois ».
Dernier capitaine de Dean Smith à North Carolina, premier Sénégalais à jouer en NBA
Au cours de ces deux années, Makhtar Ndiaye a eu l’honneur d’être en compagnie de Shammond Williams le dernier capitaine du légendaire coach des Tar Heels, Dean Smith. Celui qui a été le stratège de North Carolina pendant 36 ans appréciait la dureté, le tempérament de leader et le sens du sacrifice de son intérieur. « Sa femme me dit toujours que j’étais l’un de ses joueurs préférés ».
Les deux ont en fait appris à se connaître lors de l’année de transition que Makhtar Ndiaye avait été contraint d’observer sans jouer entre 1995 et 1996 suite à son départ de Michigan.
« Je crois que c’est cette année où j’ai le plus appris et où j’ai vraiment mûri en tant qu’homme, aux côtés de coach Smith. Non seulement, coach Smith était un génie du basket, mais je retiens plus les relations et les valeurs humaines. C’est ce qui m’a le plus marqué. J’ai été l’un de ses derniers capitaines, ça je le garderai pour toujours. Ce n’est pas donné à tout le monde. Même Michael Jordan ne peut pas dire ça. Il avait cet instinct paternel. C’était plus un père, un ami, qu’autre chose. Pour lui, le basket, c’était juste un moyen d’éduquer les gens. Gagner, c’est une chose, mais pour lui, c’était de nous voir réussir dans la vie sa véritable victoire. Je me rappelle quand Michael Jordan venait nous voir, les Sam Perkins, les Kenny Smith. On forme une famille, et tout ça c’est grâce à lui ».
Makhtar Ndiaye a ainsi entretenu une relation singulière avec Dean Smith. Et lorsque ce dernier a décidé de prendre sa retraite en octobre 1997, provoquant ainsi un véritable séisme dans le monde du basket universitaire américain, il a logiquement fait partie des premiers informés.
« Ça a été un moment fort. On revient du Final Four l’année d’avant, on repart avec la même équipe et l’idée de revenir pour le gagner. C’était notre objectif. On fait notre prépa, on revenait d’un footing sur le terrain de foot, et là il demande à voir les deux capitaines, Shammond Williams et moi. Et il nous dit : « Voilà, on va changer de coach ». On le regarde : « On va changer de coach ? De quoi tu parles ? ». Je rigole même à ce moment-là, je me demande qu’est-ce que c’est encore que cette histoire. Dans ma tête, je me dis que quelqu’un a dû faire une connerie et qu’il vient nous mettre dos au mur. Parce qu’il opérait comme ça, il convoquait les capitaines pour taper, et c’était à eux de faire passer le message. Et il poursuit : « J’ai décidé d’arrêter. J’ai pris ma décision hier soir, et je vais passer le relais à Bill Guthridge ». Moi j’ai dit non attends, je n’ai pas signé pour Bill Guthridge. Il répond que c’est son assistant le plus fidèle et que rien n’allait changer… On a insisté sur le fait que ce ne serait pas pareil s’il n’était plus là avec nous. Voilà comment on l’a su. La nouvelle s’est répandue quelques heures après. Le lendemain matin il y a eu une conférence de presse et voilà, c’était fini. Ça reste un moment inoubliable pour moi. Quand j’en parle, j’en ai encore des frissons, parce que c’est comme si c’était hier ».
« Il y a un respect, un vrai lien qui existe et c’est grâce à coach Smith »
Sa décision brutale a ainsi été une façon de remercier son plus fidèle assistant, Bill Guthridge, en lui permettant à son tour d’être coach principal. Mais plus que ses 879 victoires et le nombre de ses combats remportés, sur le terrain comme en dehors, Dean Smith a surtout laissé un lien inébranlable qui perdure aujourd’hui encore entre tous les joueurs qui sont passés sous ses ordres.
« Mitch Kupchak (actuel GM des Hornets) en a parlé récemment. Quand tu es passé à North Carolina avec coach Smith, on est tous une famille. Que tu aies joué ou pas avec tel ou tel joueur, tout le monde se connaît. Parce qu’il faisait en sorte que tout le monde se rencontre. Quand tu croises quelqu’un de là-bas, quel que soit son âge où le tien, tu te lèves pour lui montrer ton respect. C’est ce que coach Smith aurait voulu qu’on fasse. Je n’ai jamais joué avec Jordan, mais quand on se voit, tu pourrais croire qu’on a joué ensemble. Il y a un respect, un vrai lien qui existe et c’est grâce à coach Smith qu’on l’a eu et qu’on essaye de le développer ».
Dans l’intimité du vestiaire, Dean Smith savait trouver les mots justes pour motiver ses troupes. Il a en tout cas su trouver les bons pour Makhtar Ndiaye qui aurait « foncé dans un mur pour lui ». « Avec coach Smith, je n’ai jamais douté un instant de mes capacités de basketteur. Il n’y a pas une fois où il m’a fait un reproche ou m’a dit quelque chose qui aurait pu me faire douter de moi, en tant qu’homme ou en tant que joueur. C’est un coach pour lequel tu as envie de tout donner ».
Peu après le décès de Dean Smith, le 7 février 2015 à l’âge de 83 ans, la légende racontait que le coach historique des Tar Heels a fait envoyer un chèque de 200 euros à chacun de ses anciens joueurs pour profiter d’un dîner à sa mémoire. Makhtar Ndiaye confirme : « C’était coach Smith, quelqu’un qui te donnait tout le temps. Même depuis sa tombe, il a trouvé un moyen de nous rassembler. Ça a été privilège pour chacun de nous ».
À sa sortie de North Carolina, et avant de faire l’essentiel de sa carrière en Europe, Makhtar Ndiaye a donc été le premier joueur sénégalais à évoluer en NBA, lors de la saison du lock-out en 1998-1999 avec les Grizzlies de Vancouver. Signé en tant que free agent, il a disputé quatre matchs avant d’être tradé au Magic qui l’a rapidement libéré de son contrat.
Il est ensuite revenu en D-League en 2001-2002 sous les couleurs North Charleston Lowgators. Même s’il n’a pas vraiment eu sa chance, Makhtar Ndiaye reste reconnaissant vis-à-vis de la franchise qui lui a permis de marquer l’histoire de son pays.
« C’est une étape qui m’a permis d’avancer. Comme on dit, tout ce qui ne tue pas te rend plus fort. C’est sûr que j’aurais aimé jouer l’Euroligue, jouer dans une franchise qui m’aurait permis de gagner plus, mais ce n’est pas donné à tout le monde. J’aurais plutôt tendance à remercier la franchise qui a permis au premier Sénégalais de fouler un parquet NBA. Ils auraient pu prendre des milliers d’autres joueurs, mais j’ai travaillé dur et j’ai tout fait pour bien représenter les couleurs de l’équipe ».
Scout des Knicks ? « Un challenge permanent »
Installé à Dallas depuis trois ans, Makhtar Ndiaye a finalement laissé de côté son ancienne casquette d’agent pour s’investir pleinement dans la mission qui lui a confié Steve Mills et Phil Jackson en 2016 : faire partie de l’équipe de scouts des Knicks.
« Mon travail, c’est d’essayer de bonifier l’équipe. On voyage, on regarde beaucoup de matchs, on regarde par rapport à l’argent qu’on a, notre situation, nos besoins, aux joueurs qu’on a déjà sous contrat. Personnellement, c’est un challenge permanent. Je suis heureux d’être encore dans le basket et je remercie Steve Mills et Phil Jackson pour m’avoir donné l’opportunité de le faire (…). Je regarde toutes les équipes, tous les joueurs, à tous les postes. La première année, je me suis plus concentré sur les joueurs universitaires. Et là depuis deux ans, je ne fais que les pros. Je suis toute la NBA, un peu de G-League mais je fais aussi beaucoup de basket européen, l’Euroligue, les championnats italiens, espagnols et aussi français. Je regarde beaucoup, beaucoup de basket ».
Parmi les « choix » qui lui sont souvent associés, Frank Ntilikina est le nom qui revient le plus souvent. Makhtar Ndiaye est allé le voir au moins cinq fois avant que les Knicks ne décident de le drafter en 8e position en 2017. L’ancien Strasbourgeois a dû s’adapter à la pression new-yorkaise et va finir par percer, le scout des Knicks en est persuadé.
« Il a traversé un ensemble d’expériences qui lui ont permis aujourd’hui de survivre à New York et son environnement. Il s’en est sorti comme ça, en se battant. Il faut aussi se rappeler qu’il a été pris devant Donovan Mitchell, devant Kyle Kuzma… Rien que ça, c’est une pression. Après il y a eu différentes péripéties, des blessures, plein de choses qui sont arrivées qui ont fait qu’il n’a pas pu vraiment faire le taf. Aujourd’hui, heureusement, il est en bonne santé. Je crois que son passage en Equipe de France a été un tournant pour lui dans sa jeune carrière. Et tout ça c’est le fruit de son travail de cet été à Dallas avant de rejoindre l’Equipe de France. Il fait une compétition très correcte. Je crois que tout ça lui sert aujourd’hui, et qu’il est en train de franchir un nouveau cap ».
« La situation n’est pas catastrophique »
Makhtar Ndiaye raconte au passage le lien de son amitié longue de 21 ans avec Steve Mills, l’actuel président des Knicks qui l’a invité à le rejoindre dans cette aventure. Celle-ci remonte donc à 1998 lorsque le rookie des Grizzlies, en transit pour le Sénégal où il comptait y organiser le premier camp de basket, s’arrête au bureau de la NBA, à New York, pour demander conseil.
« Je suis tombé sur lui à l’entrée de l’ascenseur. Je me suis présenté, on a discuté et il m’est venu en aide. On est passé par le bureau du Commissionner de l’époque, David Stern, à qui je souhaite d’ailleurs un prompt rétablissement. Et de là, on ne s’est jamais perdus de vue. Même si j’ai évolué ensuite en Europe, on a toujours gardé le contact. Lorsque j’ai déménagé à New York pour mon boulot d’agent, on a commencé à vraiment se voir. Pour moi, Steve, c’est plus un mentor, et ça n’a rien à voir avec le basket. C’est plus un gars qui m’a aidé dans ma vie, quand j’ai eu des soucis, que ce soit familiaux ou autres. Il a toujours été là pour moi ».
Alors que Steve Mills était annoncé sur un siège éjectable il y a deux semaines suite à l’éviction du coach David Fizdale, Makhtar Ndiaye sait que son destin pourrait finir par être lié à celui de son dirigeant et ami proche. Mais pas question pour lui de baisser les bras face à la tâche qui lui a été confiée.
« On va faire de notre mieux, on va se donner toutes les chances pour y arriver et on verra bien où ça nous mènera. Et mon avenir, c’est demain. Je me lève, j’emmène mon gamin à l’école, je prends mon ordinateur, je regarde des matchs. C’est ça mon avenir. Je ne veux pas me projeter sur quelque chose qui se passera dans six mois et surtout, sur lequel je n’ai pas tout à fait le contrôle. Quand je dis ça, j’entends encore la voix de coach Smith. « Contrôle ce que tu peux contrôler. Ta journée, ton effort, ton sourire, l’amour que tu peux donner, le travail que tu peux accomplir. Mais n’essaie pas de contrôler des décisions qui appartiennent aux autres ». C’est comme ça que je vois la chose ».
Makhtar Ndiaye demande encore un peu de patience avant de juger le projet final des Knicks. L’ancien intérieur de Roanne a notamment pris l’exemple de Golden State qui a dû attendre de longues années avant de briller.
« On connaît tous la pression et l’impatience qui peuvent exister autour des Knicks, et on sait qu’on a l’habitude de souvent tout chambouler dans la franchise. Steve a émis la volonté de reconstruire quelque chose en repartant de zéro. Les gens regardent les résultats, je ne dis pas qu’ils ne sont pas importants. Mais si tu regardes bien notre cahier des charges aujourd’hui : on a des picks, de l’argent à dépenser et de jeunes joueurs. La situation n’est pas catastrophique. On dit qu’à Dallas ou à Sacramento, il y a un avenir. Pourquoi n’y en aurait-il pas un chez nous ? On a manqué un peu de chance lorsqu’il a fallu récupérer de gros free agents, mais ça peut être un mal pour un bien à condition que les gens soient plus patients et regardent vraiment la direction vers laquelle on tend ».
Tract (avec Basket Usa)