Tribune de Vieux Savané – « On ne naît pas femme, on le devient ». Cette lumineuse formule de Simone de Beauvoir pourrait aussi se décliner sous son pendant masculin, à savoir : « on ne naît pas homme on le devient ». Il est ici question de remarques désormais galvaudées mais dont on peine encore à mesurer toutes les conséquences disruptives, ne serait-ce que cette invite à s’interroger, à déconstruire les schèmes de nos identités de genre.
A l’évidence, naître n’est pas devenir mais venir au monde avec un ensemble de déterminations. Et par ricochet, devenir est par le biais de l’apprentissage et de la création la possibilité de faire advenir de la nouveauté sur la scène du monde. Ceci a le mérite de nous rappeler qu’en sus de l’animalité dont nous tenons nos besoins irrépressibles tels que manger, boire et autres, se profile une humanité qui nous donne l’opportunité d’apprécier les situations et de proposer des réponses appropriées.
Se pose alors la nécessité de s’interroger sur ces fausses évidences tapies derrière les constructions culturelles. Celles qui veulent notamment qu’un homme soit la virilité assumée, vent debout, défonçant tout sur son passage, exhibant l’image valorisante du coq triomphant. Et en cela, contrairement à la femme qui, dans un tel cas de figure, verrait sa côte dépréciée, ravalée au rang de volage libertine, synonyme de catin, indigne de considération voire de respect. C’est ainsi que l’on est parfois confronté à certaines incongruités qui en disent long sur les préjugés qui nous habitent.
Qu’une femme soit violée par exemple, et voilà qu’on s’intéresse de savoir si elle n’était pas trop aguichante. Si elle n’était pas consentante. Si elle avait résisté ou non à son agresseur. De par cette approche, tel un ouragan, la présomption de culpabilité se met en branle, balayant sur son passage toute présomption d’innocence au profit d’une phallocratie qui s’octroie le droit d’exhiber avec arrogance l’idée qu’elle se fait d’elle même. Récemment, lors de la campagne pour les élections locales, à une question posée à un homme politique sur une possible relation intime entretenue avec une dame par un autre leader politique de son camp, ce dernier a répondu sans sourciller, avec le sourire convenu de celui qui est sûr de son fait : « On est homme ou goor jigeen (homosexuel) ».
Une manière de suggérer qu’un homme se dessine par sa capacité à faire corps avec une virilité furieuse et non dans l’épreuve de la relation humaine. Un homme, « ça ne peut pas se retenir », semblait-il donc insinuer, oubliant que contrairement aux animaux ce qui fait de nous des êtres humains, c’est la domestication de nos instincts que permet notre enculturation. En d’autres termes, la capacité de proposer des réponses idoines en rapport au contexte et aux normes sociales d’acceptation et de dialogue qui fondent l’en commun.
Ceci dit, beaucoup de nos sociétés, pourtant poreuses à toutes les turpitudes masculines, se retrouvent promptes à contenir les femmes dans des postures de seconde zone.
Néanmoins cela ne saurait occulter les différentes avancées accomplies au Sénégal en faveur de l’égalité hommes/femmes. Ces dernières sont mécaniciennes, conductrices de train, pilotes d’avion, Premier ministre, directrice de la police nationale, directrice de banque , etc. Toutefois, force est de constater que même si elles dament souvent le pion aux garçons sur les bancs de l’école, le chemin de l’émancipation reste encore long du fait des abcès à crever, des plafonds de verre à faire sauter. Première femme générale des forces armées ?
Première femme Chef de l’Etat ? Pourquoi pas ! En attendant ces conquêtes cruciales, il demeure surtout la nécessité de poursuivre et d’approfondir la révolution des mentalités afin de déconstruire durablement le regard sexiste sédimenté autour de cet étrange aphorisme qui veut que l’homme dise : « Je veux » et la femme : « Il veut ». Oeuvre d’autant plus impérieuse que de telles assertions ne semblent pas outrer encore moins émouvoir grand monde. Bien au contraire, ces derniers sont encore victimes de la glu sociale qui dénient aux femmes le droit d’être médiocres au même titre que les hommes tout en faisant intérioriser des manières de faire et des perceptions acquises comme relevant de faits innés.
Mais qu’importe toutes ces barrières !
Bien loin de la désespérance, la résistance reste on ne peut plus d’actualité. Aussi, demain se révélera-t-il forcément un jour autre pour qui vise un horizon de pluralité, de liberté, d’égalité et refuse de se laisser écraser par le lourd fardeau des pesanteurs de toutes sortes.*
Avec Sud Quotidien