Débarquée du Cese au profit d’Idrissa Seck, le 1er novembre 2020, Aminata Touré est bien partie pour devenir la présidente de l’Assemblée nationale. La tête de liste nationale de Bby dont la carrière politique se résume à un enchaînement de faveurs et de déconvenues, devrait signer officiellement son énième retour aux commandes. Ce lundi 12 septembre 2022, elle sera élue Présidente de l’Assemblée nationale et première femme à occuper ce poste, devenant la deuxième personnalité de l’Etat. C’est là son karma de destin contrarié, mais toujours remis en selle.
En politique, rien n’est jamais gravé dans le marbre. La réalité change au gré des intérêts du moment, faisant des ennemis d’hier les alliés d’aujourd’hui et vice-versa. Surtout dans un jeu où les lignes de démarcation idéologique se sont effacées depuis des lunes. De même que les bornes de l’éthique et de la morale qui ont sauté depuis belle lurette. Ces caractéristiques du landerneau politique sénégalais, Aminata Touré, l’ancienne Trotskiste du MSU, directrice de campagne de Landing Savané à la présidentielle de 1993, devenue libérale, n’est pas sans les cerner. Elle s’en est visiblement accommodée, elle qui enchaîne grâce et disgrâce depuis 2012.
Celle qui fut un des agneaux du sacrifice lors du spectaculaire revirement de Idrissa Seck le 1er Novembre 2020, est très vite revenue en grâce. Investie tête de liste nationale de Benno Bokk Yakaar (Bby) aux législatives du 31 juillet 2022, Mimi sera, sauf coup de théâtre de dernière minute, la candidate de la coalition présidentielle pour la présidence de l’assemblée nationale, ce lundi 12 septembre 2022. Pourtant tout n’a pas été rose pour l’ancienne Pm dont les relations avec le président Macky Sall sont des plus instables avec des hauts et des bas. Rewind !
Débarquée du conseil économique, social et environnemental (Cese), l’ancienne maîtresse d’œuvre de la traque des biens mal acquis, initiée par la deuxième alternance dès sa prise du pouvoir en mars 2012, la première Garde des sceaux de la deuxième alternance a même failli être traquée à son tour par son successeur (Idy). Sous le silence complice de Macky Sall qui avait déjà lâché ses faucons sur elle.
La traqueuse, traquée
Mais, celle à qui on colle l’étiquette de Margaret Thatcher « la dame de fer », n’est pas de celles qui courbent l’échine face à l’adversité. Dans ce jeu d’hommes qu’est la politique, elle s’est forgée des traits de caractère d’un mâle dominant. Et ce n’est pas Idrissa Seck à qui elle livre depuis toujours un duel sans merci ou encore Nicolas Sarkozy qu’elle a vertement tancé à l’université d’été du patronat marocain pour sa réflexion misogyne à l’égard des femmes africaines…qui soutiendraient le contraire.
Si les Sénégalais n’assisteront jamais à une passation de service dans la civilité administrative entre Aminata Touré et Idrissa Seck, c’est parce que l’ancienne chef du gouvernement de Macky Sall qui ne lâche jamais prise, n’a pas du tout aimé la méthode de l’ancien maire de Thiès. En effet, la présidente sortante du Cese ne digère pas le processus de « Dé-Miminage » que son successeur a déclenché avant même son installation, avec le limogeage systématique de tous ses anciens collaborateurs dont des fonctionnaires de l’État et la mise en branle d’une mission de contrôle. Et elle ne s’en cache pas. Mimi avait d’ailleurs déjà annoncé la couleur lors du dépôt de ses rapports d’activités le 6 novembre durant lequel elle avait royalement ignoré Macky Sall et son successeur Idrissa Seck.
L’hommage rendu par Idrissa Seck pour rectifier le tir lors de son installation, le 19 novembre 2020, ainsi que les raisons qu’il a servi pour justifier le contrôle financier de l’institution n’ont pas réussi à décrisper la situation. « C’est sur les fondations du legs des femmes et des hommes valeureux qui m’ont précédé, de feu Léon Boissier Palun à Madame Aminata Touré, que j’entends mener ma mission. (…) Il n’est pas question de fouiller dans une quelconque gestion, encore moins celle de Aminata Touré. Je n’ai même pas ce temps. Aucun document signé et paraphé par mon prédécesseur, attestant ce que j’ai trouvé au CESE à mon arrivée, notamment dans les comptes, ne m’a été remis. Il s’agit de faire une situation de référence. On est dans un contexte de rassemblement, pas de division », tempère Idy.
Mais rien n’y fit. Revancharde, Mimi ne lâche pas l’affaire. Elle ne rate jamais une occasion d’en rajouter une couche. « C’est pour éviter de telles situations que l’on fait une passation de services. Si ce jour-là, où je l’attendais, il était venu, donc je lui aurais tout expliqué. Les papiers étaient là. Mais la façon de travailler a changé. Maintenant, on travaille avec l’ordinateur. C’est vrai que cela fait longtemps qu’il (Idrissa Seck) n’a pas travaillé dans l’administration. De 2004 à aujourd’hui, les choses ont changé. Pour qu’il puisse accéder aux dossiers, il faut que ceux qui utilisaient ces ordinateurs soient là, qu’ils donnent le mot de passe, que l’on puisse savoir ce qui est dedans. Mais le Daf et le Drh ont été interdits d’accès dans leurs bureaux », charge-t-elle.
Pourtant celle qui avait rendu public son patrimoine estimé à l’époque à 777 millions de francs Cfa sans en être astreinte, n’est pas pour autant réfractaire à la reddition des comptes. Pourvu qu’on y mette les formes !
Karim, Habré et Béthio, les trophées
Cette fameuse traque des biens mal acquis, elle l’a mené d’une main de fer, avec toutes les conséquences que cela pouvait avoir jusque dans son foyer. En effet, son ex-époux Oumar Sarr, père de sa première fille (Mimi a trois enfants et s’est marié 3 fois, sa première fille a fait ses études à l’université de Yale aux États-Unis) faisait partie de la liste des pontes de l’ancien régime ciblées par la Crei.
Et elle n’avait pas hésité à lui servir une interdiction de sortie du territoire. « Lorsqu’on administre la justice, on le fait avec froideur. Parfois aussi avec déchirement », avait-elle expliqué à l’époque dans Jeune Afrique.
C’est avec cette même froideur qu’elle a lancé les chambres africaines extraordinaires qui ont abouti à la condamnation de l’ancien président tchadien Hissène Habré (mort en détention le 24 août 2021) qui s’était installé à Dakar depuis les années 1990. Pourtant deux régimes se sont succédés (Diouf et Wade) sans qu’aucune action allant dans ce sens ne soit posée.
Sa détermination pour la tenue de ce procès a été saluée par les associations des victimes ainsi que par les défenseurs des droits de l’Homme. Bien que les relations avec ces derniers, notamment Amnesty international section Sénégal, n’ont pas toujours été tendres. En atteste la missive salée qu’elle a adressée à Seydi Gassama en 2013 pour fustiger le rapport de Amnesty qui, selon elle, ne correspond pas à la réalité.
Avec la même rigueur, sans vaciller malgré la pression, Mimi a procédé à l’arrestation inattendue du défunt guide des Thiantacones en 2012, Cheikh Béthio Thioune très puissant à l’époque, dans l’affaire dite du double meurtre à Médinatou Salam.
C’est dire que cette fille d’un pédiatre et d’une sage-femme, issue d’une fratrie de 8 enfants, née le 12 octobre 1962 (59 ans) n’a pas froid aux yeux.
Délit d’ambitions
Forte de ce « palmarès », Mimi est portée au pinacle. Elle est nommée Premier ministre en remplacement d’Abdoul Mbaye, le 1er Septembre 2013. La dame commence à tisser sa toile aussi bien dans la sphère étatique qu’au sein de l’Apr. Sacrilège ! Comme tous les Premiers ministres qui nourrissaient le rêve d’occuper le « fauteuil présidentiel » et qui prennent des libertés, Mimi est tout d’un coup devenue encombrante.
Les dégringolades s’enchaînent. Après l’avoir jetée avec son « colistier » Adama Faye (petit frère de la première Dame) dans la gueule du « loup de Dakar », Khalifa Sall, lors des élections locales du 29 juin 2014 à Grand-Yoff, Mimi a été limogée après sa débâcle, le 6 juillet 2014. Depuis, les relations avec le président Sall ne sont plus au beau fixe.
Elle sera nommée en février 2015, envoyée spéciale du président de la République. Son retour aux commandes en mai 2019 comme présidente du Conseil économique, social et environnemental, elle l’a gagné en « réélisant » Macky Sall dès le premier tour en 2019 comme directrice de campagne. Mais, les accusations du directeur général de la maison de la presse, Bara Ndiaye, sur un agenda caché qu’Aminata Touré et Amadou Ba détiendraient en parallèle, avaient quelque peu ravivé la tension.
Ses ambitions, l’ancienne directrice de marketing et de la communication de la défunte Sotrac dans les années 1988, ne les cache pas. « L’ambition n’est pas un délit à ce que je sache. En politique, on n’est pas assis à regarder les trains passer », a-t-elle martelé. Cette fonctionnaire qui a bourlingué à l’Unfpa (le Fonds des Nations unies pour la population), et qui n’a, par ailleurs, rien à envier au Macky Sall de Dekkal Ngor en 2009 pour avoir aussi bien été premier ministre et présidente d’une institution tout comme lui, ne se fixe aucune limite. Elle rêve de briser le plafond de verre qu’on dresse aux femmes dans la politique.
Et comme Macky Sall, elle devrait ajouter « présidente de l’assemblée nationale » à son Cv, ce 12 septembre 2022. C’est la juste rançon de sa postion de tête de liste aux législatives, qu’elle avait crânement négocié avec « le patron ». En la faisant élire par « ses » députés, Macky Sall la neutralise pour le cas où il se représenterait en 2024 pour un troisième mandat. Mais si Macky ne se représente pas à la fin de ce second ma,ndat, nul doute que Mimi Touré, depuis le perchoir, tentera sa chance pour aussi devenir la première femme Présidente de la République du Sénégal. Mimi, une battante dont la malchance est toujours contrariée par sa pugnacité.
Damel Macouma Mor Seck (avec sites internet)